LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

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« Encore Elle » de Breece Tindji : La quête du bonheur dans une ordonnance exquise

 Le bonheur est une plante lascive au fruit comestible qui git au cœur du jardin sacré d’Eden. Toutefois pour cueillir le fruit délicieux de cet arbre, deux types de chemins s’offrent aux pèlerins. La voie de la morale, qui se veut orthodoxe, très longue,  étouffante et peu sûre ;  où il faut d’innombrables abnégations et mortifications pour parfois se retrouver à zéro. Et le chemin tortueux et serpenté qui, avec scrupule aucun, assure l’obtention du fruit. Avec l’aide du serpent-magicien qui satisfait toujours aux besoins de ses soupirants.

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La question du bonheur dès lors devient une véritable énigme inscrite au creux d’un labyrinthe qui ne dit pas son nom. Au demeurant, le pèlerinage s’avère problématique. Laquelle de ces voies faut-il préférer ? Mieux y a-t-il une différence entre deux moyens diamétralement opposés qui mènent au même résultat ?  Telle est la pertinente question que Breece Tindji pose dans les lignes de son livre intitulé Encore elle. 

Essis perdra consécutivement ses deux parents. La succession des malheurs, enchevêtrée et enchainée tels les nœuds d’une menotte, emprisonnera l’enfant dans une logique de lutte noble pour arriver au faîte de sa liberté. Après son entrée en sixième et déjà Orphelin, alors à Daloa, il poursuivra son cursus scolaire chez son oncle Agnero Claude, à Abidjan.  L’époux à Cindy ! Il rencontrera Aïcha, une fille à papa qui abandonnera tout pour lui. Une véritable preuve d’amour et un soutien indéfectible dans cette lutte où le seul espoir est Dieu. Madame Agnero, mercantiliste par essence, obtient toujours ce qu’elle désire en faisant usage de son beau corps. L’adultère n’étant pas un péché pour Cindy. Juste une façon d’obtenir ce qu’elle veut. Les nombreux combats d’Essis s’abîmeront généralement dans le gouffre des échecs. Et parallèlement sa tante qui fait fi  de la morale cueille sans effort les fruits corrompus d’un bonheur insolite. Essis finira par avoir gain de cause. Embauché dans une entreprise comme cadre dont Cindy est la Directrice Générale… se peut-il que le bien et le mal finissent dans la même enceinte ?

Le roman de Breece Tindji, comme le titre, « Encore Elle », l’indique met en exergue les frasques répétées  d’une dame : Cindy. Qui n’a cesse de verser dans l’avilissement  pour atteindre ses objectifs. Tandis qu’Essis son neveu souffre pour réussir, elle s’évertue à lui expliquer que « les chemins serpentés ne  déforment pas le bassin » (p.157). L’adverbe ‘’encore’’  exprimant l’insistance et la récurrence montre bien combien Cindy s’active gauchement pour avoir gain de cause. « À la limite du cynisme » (p.85). C’est un certain parallélisme entre le bien et le mal qui est mis ici en exergue. Cindy est la goutte qui montre que la mer est salée. A l’instar de cette vague farouche et sauvage qui engloutit sans  cesse les espoirs des surfeurs pour sa petite personne, c’est tout l’océan féminin qui est convoqué au rivage de la bonne foi. Les femmes usent généralement de leur beauté et charme pour attirer l’Homme dans le lit impudique de Cupidon. De nos jours, elles  ne craignent point de vêtirent des décolletés qui mettent à nu les pans naissants de leurs galbes ou de leur cuisses pour cueillir le regard impuissant et trop humain des fils d’Adan. L’homme est faible, à l’idée de la question libidinale. Et la femme le sait.

Que peut un homme devant un corps parfait et sculptural taillé des mains de maitre de Dieu lui-même ? Que peut un homme face à une poitrine ferme et tendue telle une papaye à cheval vers la maturité ?  Même mariées, à l’image de Cindy, certaines femme ne répugnent aucunement l’idée de tomber des hommes très puissants afin d’obtenir tous les bijoux escomptés. Mais le bonheur ne se restreint-il qu’au matériel ? Cindy inscrit la réponse au fronton de l’affirmatif : «  l’argent peut tout acheter, même l’amour ! » (p.160). «  la femme reste la femme » (148). Car même la femme, jadis fidèle et dévouée, d’Essis lui donnera un coup de Jarnac en échange d’une vie plus belle.

«En critique, j’ai assez fait l’avocat, faisons maintenant le juge». Disait Sainte-Beuve clairement. Et ici pour faire le juge, nous admettons d’emblée que le verdict est de bon augure. Car  l’auteur sut savamment confiner son récit raffiné dans un coffre en or massif.  La description est son point fort. Breece Tindji est passé un futur maître dans l’art de la narration.  Partant le plus souvent du général, les vocables et locutions mènent inexorablement au particulier. La façon d’emmener progressivement les actions, en y mettant la vitesse en contexte, fait penser à Marcel Proust. Un vocabulaire riche, varié et l’alternance de longues et courtes phrases dans les descriptions montrent la volonté de dire dans les moindres détails le fruit de la pensée : « Dans ses formes épanouies de déesse africaine, le galbe de son corps de rêve sculpté sur mesure, elle était en plus grande de cent soixante seize centimètres. Avec son naturel  de teint métissé, telle une véritable quarteronne, elle avait un long cuir chevelu  d’une brillance ocre et lumineuse… » (p.71). 
Le décor des actions  doit sa précision  à la couleur profonde des descriptions. Le pittoresque coule après le passage d’un pinceau dont la fresque est limpide et naturelle à l’image de l’eau de roche. La représentation objective et le génie de l’auteur lui valent le mérite d’une distinction narrative. La plume de l’auteur, dans ces détails se posent comme critique d’art. Même dans des zones clair-obscur de son tableau, il arrive nettement  à délimiter les ombres produites par le triste soleil de la supercherie. Cela nous rappelle une célèbre formule de Bossuet : «  il crayonne avant de peindre »

Abdala Koné.

Encore elle,  Breece Tindji ; éd Balafons Février 2014 ; 172 pages



15/04/2015
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