LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

« Hideur des Tropiques » de Mathurin Goli Bi Irié : Pleur et chant d’un poète africain

Les lecteurs ivoiriens connaissent le talent de prosateur de Mathurin Goli Bi Irié déployé dans son célèbre roman « La Lycéenne ». Ce que la plupart d’entre eux ne savent pas tient du fait que cet écrivain est aussi poète. Sa première œuvre littéraire est une œuvre poétique intitulée « « Hideur des Tropiques ».

hideur des tropiques.jpg

 

« Donne-moi de mourir pour la querelle de mon peuple /
Conserve et enracine dans mon cœur libéré
/
L’amour premier de ce même peuple ».

Ces vers, sorte de versets, sont une prière de Léopold Sedar Senghor dans « Chants d’ombres » à travers ‘’ le retour de l’enfant prodige’’. Cette poésie chante l’appartenance à sa terre natale et l’amour pour son peuple. Un chant triomphal dans l’optique de manifester sa fierté pour ses racines noires. Cette incantation est devenue un label pour tout Africain. Et ce n’est pas Mathurin Goli bi Irié qui nous dira le contraire. Lui qui à travers son poème « hideur des tropiques »’ déclame, de son timbre amer et traditionnaliste, son africanisme, voire son panafricanisme.

 

Ce livre est un poème en un seul trait. Un long texte mêlé de proses, de vers, et même de versets. L’auteur pleure. Plus, il chante. Et de sa bouche coule, s’écoule et roucoule les chœurs effarés d’une Afrique qui se veut consciente. Dans la nuit de sa plume, le poète s’éveille, veille et réveille parfois Césaire, Senghor, Damas…pour comprendre la noirceur opiacée de son encre. Encre avec laquelle il s’ancre dans l’antre d’une poésie rebelle et précieuse. Mathurin Goli Bi se replie dans sa tour d’ivoire. La poésie qui en ressort se détache de ce voile épais. Il tire le rideau pour exhiber le firmament noir sur lequel luit la faible lumière lunaire. Avec un ton assez rigide, qui durcit et s’adoucit par moment, l’auteur crie sa douleur face aux maux qui minent son Afrique. Cet ondoiement de ton dans le timbre marque la volonté du poète de se faire entendre, mieux de se faire comprendre. Comme Césaire, il affirme avec véhémence son attachement à sa terre natale. Il se veut être «  la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche ». Il dénonce alors ces acnés telles l’ivoirité, la traitrise et surtout cette démocratie de façade qui, tel un poison, tue à petit feu cette terre d’Eburnie. Le poète est déterminé à en découdre avec toutes ces pustules qui rendent galeuse son beau corps noir, jadis poli et velouté telle la peau d’un scinque. L’Afrique  fut blanchie, dépigmentée, acculturée de sorte que ses traditions en ont pris un coup. L’Afrique fut touchée dans son amour propre, elle fut « violée démocratiquement » (p.34). vidée de son sang par la complicité de ses propres fils.

 

Pour Césaire, écrire et agir politiquement vont de paire : « ma poésie est née de mon action » ; « écrire, c’est dans les silences de l’action » (propos figurant dans Le Monde du 17.03.2006). Aussi pour Mathurin Goli Bi, la poésie est-elle le lieu de la parole silencieuse et engagée. Sa parole poétique se veut résonance et non somnolence,  chantée et non déchantée, louée et non clouée, phonique et non aphonique…le silence alors est le canal d’un torrent de paroles. «  Ce silence sépulcral » (p.8), silence de cimetière augurant une mort certaine, indéniable et avérée : la mort de nos dieux. Nos traditions et coutumes ont été précipitées au trépas, emmitouflées dans un linceul. Linceul blanc. Linceul occidental. L’on comprend aisément les plaintes de David Diop : « Afrique mon Afrique !/...Afrique que pleure ma grand-mère ! ».

Aujourd’hui Goli Bi, fils de Vrigrita, te pleure.

Toutefois, en dépit de tous ces maux qui l’ont pétrifié, le poète refuse de laisser son Afrique se putréfier. Il garde l’espoir. Et se forge un moral d’acier. Un soleil prometteur se lève dont les rayons portent la semence d’une espérance forte. Car «  l’air de l’esclavage n’est plus que murmure/ l’air de la colonisation n’est plus que souvenir. » (p.47). l’espoir est permis. Et le chant de deuil devient chant de réjouissance. Les derniers versets font office d’une nature verdoyante. « Les  jours ruissellent vers nous en gloire latente », à l’image de ce voyageur fatigué qui découvre l’horizon heureux de sa destination.  C’est avec une note assez gaie  et prometteuse que se ferme ce livre.

 

Ce texte est l’expression d’une vomissure face à la morsure hypocrite du colonialisme qui fit des fissures à notre demeure. Pour parler comme le grand maître Bottey, il y a de l’ineffable dans l’encre de l’auteur. Et le seul lexique français n’est pas suffisant pour dire son ras-le-bol. Alors le poète utilise des mots africains. De sa langue. Il y a des mots et expressions qui, en nos langues, n’ont pas d’équivalent en français. Et Ahmadou Kourouma est l’un des précurseurs de ce brassage lexical et linguistique qui donne sens à la littérarité de sa plume. Goli Bi le sait : « Je le savais, pian » (p.15). « Pian » comme pour insister sur la véracité, la validité et l’authenticité de cette connaissance sienne. Avec ces mots empruntés au terroir ivoirien, « gouro ». Le narrateur-poète africanise quelque fois la langue de Molière. Ce qui donne à son texte cette originalité qu’elle mérite. Cette méditation lyrique au langage chatoyant et incandescent est l’arbre qui cache l’immense forêt. N’est ce pas la raison pour laquelle Kafka disait qu’une littérature qui ne blesse pas ne mérite pas son nom ?

 

Abdala Koné

 

Mathurin Goli-Bi Irié, Hideurs des Tropiques, poésie, ed. Matrice

 

in Le Nouveau Courrier du 6 février 2015



20/02/2015
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 31 autres membres