LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

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Interview/ Fatou FANNY-CISSE auteure de « La sueur du cœur »

Fatou Fanny-Cissé est enseignante de lettres à l’université Félix Houphouet-Boigny d’Abidjan. En 2000 elle publie son premier livre dans la collection Adoras. Depuis lors, sa plume, toujours en alerte, épluche toutes sortes d’histoires pour le plaisir des lecteurs. A la faveur de la publication par Cercle Média de son recueil de nouvelles, « La sueur du cœur », l’écrivaine bien voulu répondre à des questions que nous nous posons…

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Le titre de votre œuvre « La sueur du cœur » est une belle expression métaphorique. Comment l’idée de ce titre vous est venue ? Et que voulez-vous exprimer ?

A tout seigneur, tout honneur. C’est par M. Désiré Konan, expert-comptable et Président du groupe Business Achievement que j’ai entendu prononcer cette expression, dans le cadre d’un travail. Je l’ai aimée et je l’ai adoptée. Et je lui ai dit que ce serait le titre d’un de mes recueils de nouvelles. Il plaisante d’ailleurs souvent en me disant que je lui dois des droits d’auteurs. C’est une belle expression, j’en conviens. Elle métaphorise simplement les larmes, les larmes de cette dame qui a tant donné de sa personne pour récolter une telle ingratitude de la part de son conjoint.

 

Le thème principal de votre œuvre semble être celui de l’amour. C’est un thème qui a fait l’objet d’un nombre pléthorique de publications. En quoi consiste donc l’originalité de  « La sueur du cœur » ?

Vous conviendrez avec moi qu’un thème éternel comme l’amour ne saurait être épuisé. Mais je l’utilise, en fait, à d’autres fins. Dans ce type d’écrits, j’ai choisi de toucher le plus grand nombre. Or, l’amour est justement un thème populaire. Les anecdotes qui y renvoient sont très prisées. Je l’utilise donc pour passer mes messages et pour parler de faits de société qui, autrement pourraient paraître rébarbatifs pour certains. Mes nouvelles vont leur petit bonhomme de chemin et j’ai des échos favorables puisqu’elles sont régulièrement rééditées. Sans tambour ni trompette.

 

Vous finissez chaque nouvelle par un point d’interrogation. En quoi consiste ce procédé qui à chaque fois ramène la balle dans le camp du lecteur alors qu’il attend beaucoup de vous ?

Toutes les nouvelles ne finissent pas par un point d’interrogation. Certaines sont fermées mais il est vrai que d’autres sont ouvertes. C’est mon style de communication pour faire participer le lecteur à la lecture après avoir lu. Je le laisse imaginer des suites improbables, je le laisse dans l’expectative et le contact se poursuit au-delà du livre. C’est aussi une autre façon de l’accrocher, de le faire réagir. En outre, la nouvelle est par définition un récit bref ; je ne peux aller au-delà d’un certain nombre de pages. Et puis, un jour, qui sait, peut-être organisera-t-on des concours de nouvelles à partir de ces nouvelles ouvertes.

 

Le niveau de langue que vous adoptez dans l’œuvre est souvent relâché. Comment justifiez-vous ce choix ?

Comme je l’ai dit précédemment, je fais ici clairement le choix d’être lue et comprise par le grand public. A ce titre, j’utilise un vocabulaire standard. Ensuite, si je suis dans un dialogue et que le type de personnages que je campe parle d’une certaine manière dans la réalité, je traduis fidèlement son style linguistique. Enfin, j’écris souvent comme je parle. Tout ceci pourrait expliquer cela. Le relâché n’est pas du tout exclu de ce qui est considéré comme la grande littérature, non plus. Le but est de ne surtout pas être pédante ; je réserve les formules contorsionnées pour mes articles universitaires car là, c’est une autre cible, hermétique au grand public. Et croyez-moi, ce n’est pas une mince affaire de revêtir ces deux manteaux à tour de rôle.

 

Dans la nouvelle intitulée « Elle voulait lui faire plaisir », vous dites ceci à la page 77 : « Un crocodile a beau demeurer longtemps dans l’eau, il ne deviendra jamais un tronc d’arbre. » Est-ce à dire que le tronc d’arbre vit dans l’eau ? Il semble que vous avez mal apprécié le proverbe car la formule correcte serait : « Un tronc d’arbre a beau demeuré longtemps dans l’eau, il ne deviendra jamais un caïman ». Qu’en pensez-vous ?

Vu ainsi, c’est une inattention de ma part, en effet. Mais on trouve bien des troncs d’arbre dans l’eau souvent, non ? Deviennent-ils pour autant des caïmans, ces sauriens qui vivent dans l’eau ? Tout dépend du point de vue où l’on se place. C’est l’histoire du verre à moitié vide et à moitié plein.

 

Dans la première nouvelle « La sueur du cœur » qui prête son nom à l’œuvre, on lit ceci à la page 14, ceci : « Achille était réticent, car les médecins n’aiment pas beaucoup l’hôpital… » Que voulez-vous insinuer par cette affirmation des plus ambigües quand on sait que le médecin est formé pour travailler à l’hôpital ?

Cette logique paradoxale provient de mon observation personnelle. J’ai remarqué que les médecins, ceux qui sont justement « formés pour travailler à l’hôpital », contre toute attente, rechignent à se rendre dans les centres de santé. Pourquoi ? Mystère et boule de gomme. La plupart des médecins que j’ai eus à côtoyer ont une répulsion pour les médicaments dès qu’il s’agit d’eux-mêmes. Je vous invite à observer les médecins dans votre entourage et au besoin, à leur demander pourquoi ils fonctionnent ainsi.

 

La nouvelle « La croqueuse des hommes » semble inachevée. Vous racontez une histoire de violeurs de filles qui un jour tombent sur une fille qui elle, aime sortir avec plusieurs hommes à la fois. Les violeurs pris de panique prennent leurs  jambes au cou. C’est là que prend fin le texte. Que voulez-vous lui apporter comme enseignement à partir de cette histoire?

Pour moi, cette nouvelle est close : les loubards ne sont pas parvenus à leur fin, ils s’enfuient. Fin de l’histoire. Nous sommes dans le divertissement donc c’est d’abord inattendu et drôle. Ensuite, je montre qu’il existe des femmes nymphomanes et que les apparences peuvent être trompeuses. La fille qui invite le loubard à achever son initiative est plate comme un hareng ; il y a là un contraste saisissant entre la musculature du loubard et la frêle constitution de la jeune fille alors que c’est elle qui aura le dessus et qui l’humilie finalement. Il ne s’attendait pas à cela. C’est ce que l’Ivoirien appelle dans son jargon : « petit marteau casse gros caillou ». Au-delà de cela, j’enseigne que dans la vie, il faut savoir s’arrêter quand on est sur la mauvaise pente car on trouve toujours une humiliation devant soi quand on persiste dans la mauvaise voie.

 

Vous annoncez la huitième nouvelle « Le lait de la lionne » comme un conte, ce qui paraît d’ailleurs très original. Malheureusement, la suite de la narration et le contenu du texte ne diffèrent pas de tous les autres textes du livre.

Je reste fidèle à mon style mais cette histoire est effectivement un conte. L’honnêteté intellectuelle voudrait que je le signale même si le conte est un patrimoine commun. J’ai conté cette histoire à ma manière ; la preuve, certains m’ont dit qu’ils connaissaient l’histoire. C’est un conte pris dans la tradition orale africaine stylisé par mes soins.

 

Votre livre prend beaucoup parti pour la femme contre les hommes. Pourquoi un tel parti pris ?

Ceci est vraiment votre lecture. Lorsque j’écris, je ne prends parti ni pour les hommes ni pour les femmes. Mon point de départ est que j’ai des choses à dire et je les raconte. Ce genre d’histoires, j’en ai publié trente avec les nouvelles des autres recueils : « Je ne veux plus que mon mari sorte » et « Flagrant délit ». Ensuite, j’aime bien dévoiler le négatif. Je ne suis pas particulièrement fascinée par les contes de fées. Peut-être en ai-je trop lu ? J’estime que la vie est beaucoup plus cruelle et qu’il faut parler de ce qui fait mal, parfois avec douleur comme dans la nouvelle intitulée « La sueur du cœur » ou avec humour comme dans « La croqueuse d’hommes » car c’est tout de même de viol qu’il s’agit. On me taxe parfois de féministe mais je ne saurais dire vraiment si j’en suis une vue de cet angle car autant j’épingle les hommes, autant j’épingle les femmes.

 

Pourquoi doit-on lire « La Sueur du cœur » ?

Vous devez lire « La sueur du cœur » parce que dix nouvelles croustillantes, drôles et parfois douloureuses, enrobées de faits de société de votre quotidien  vous y attendent. Et sans fausse modestie, elles sont bien narrées.

 

Interview réalisée par Abraham Gbogbou



02/06/2015
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