LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

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INTERVIEW/ Inza Bamba, auteur de « Le bonheur est une métaphore »

Inza Bamba est professeur de lettres, actuellement en poste en tant que Chargé d’Etudes au Cabinet du Ministre de l’Education Nationale et de l’Enseignement. Il est l’auteur de trois œuvres littéraires parues aux éditions Balafons, Abidjan. Quelques mois après la publication de son dernier roman « Le Bonheur est Une Métaphore », nous l’avons rencontré…

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 Inza Bamba, ce roman « Le Bonheur est une métaphore » n’est certainement pas votre première œuvre.

Je suis à ma troisième parution. La première« un instant d’hésitation »  est un recueil de dix nouvelles qui campe en autant de tableaux des aspects de notre vie quotidienne, les petits joies et les drames secrets qui colorient ou lacèrent nos cœurs. La deuxième « deux noms de la vie » est un roman de 188 pages qui racontent la vie d’une jeune fille aux prises avec les travers de notre société. C’est une sorte de parcours initiatique dont le but est de poser une thérapie ou une catharsis collectives en rapport avec les tares qui affectent et infectent notre communauté. Et la dernière, ce roman de 199 pages intitulé « le bonheur est une métaphore ».

 

Ce roman mêle intelligemment amour et politique….une raison particulière ?

On n’a pas le temps de penser à ces choses-là quand on écrit un roman. Sur cette question, qui est plus généralement en rapport avec le fait d’écrire, je suis très modeste. Je concède volontiers que nous écrivons sous l’impulsion d’une force supérieure. Ce n’est pas très original sans doute, tant la formule a été galvaudée tout au long de l’histoire. Mais elle est si lumineuse ! On ne choisit pas exactement ce que l’on veut ou où l’on va. On a une idée vague pour commencer. C’est tout. Et l’art de l’écrivain consistera à habiller cette première « intuition ». Mais cela le mène bien souvent par le bout du nez, cette narration dont il est finalement un protagoniste mais pas le maître d’œuvre. Donc amour et politique, cela m’est venu comme ça, parce que j’ai voulu raconter une histoire d’amour, après que notre histoire nationale récente ait battu l’amour en brèche. Comme nous étions à une période très politique ou politisée, la politique s’est invitée dans l’arène. Et cela a donné cet attelage monstrueux : amour et politique.

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Le début du livre avec la geste des enfants est certainement une des plus belles séquences de cette œuvre. Comment vous êtes venue l’idée de mettre en scène des enfants aussi audacieux ?

Vous parlez d’une geste et vous avez raison. Je trouve en effet que cette coalition d’enfants pour aller à l’assaut de nos consciences perverties d’adultes a un relent de majesté. Vous savez, j’ai commencé le premier jet de ce livre début 2012. C’était un moment de questionnement douloureux sur notre rapport et notre apport à notre destinée commune. Nous sortions d’une guerre traumatisante et notre état de conscience n’était pas le plus reluisant. (…) Dans un tel contexte, il m’est apparu que nos dérives, dont la responsabilité est intrinsèquement partagée, sont le résultat d’une perte de repères. Il faut donc trouver un nouvel ordre, pour éviter ce chaos à l’avenir. Il faut alors donner la parole à toutes les victimes pour construire le consensus. Les enfants sont d’ailleurs les victimes les plus vulnérables. Si dans la réalité, il est impossible de les associer formellement à la prise de décision, au moins, dans une fiction, l’on peut bien leur donner la parole pour dire qu’il faut tenir compte d’eux et agir dans ce sens. Cela nous a donné un formidable coup de théâtre pour ceux qui sont friands de sensations fortes.

 

Cette empoignade entre ces enfants et le président de la république revêt un intérêt dans la dynamique de l’œuvre. N’est-ce pas ?

En tout cas, je considère cette séquence comme l’une des plus fortes du roman par sa valeur narratologique d’abord. En effet, c’est elle qui constitue l’élément qui structure l’étape initiale et construit la trajectoire même des personnages. Mais il y a aussi une symbolique parce qu’un roman doit aussi participer de la vulgarisation de la vertu. En réalité, ce n’est pas vraiment une empoignade ou un antagonisme insurmontable  avec le Président de la République étant donné qu’une convergence de vue les unit bientôt.

 

Votre personnage principal, un président de la république, est un poète. Cette qualité littéraire (être poète) est aussi une qualité humaine, n’est-ce pas ?

Oui, c’est une intime conviction. Ici, « poète » doit être pris dans un sens générique. Il me semble en effet, dans un monde tiré vers le bas par la symphonie des pêchés, ce monde dirigé par la raison du plus fort où nous sommes tous pris en otage par les chapelles et leur sectarisme, qu’être poète est une profonde qualité humaine. Le poète, en tant qu’esclave du Beau est par essence un homme vertueux. Il est l’homme de la tolérance et de la mesure. Dans une approche dialectique, on ne peut pas être poète, musicien, orfèvre, sculpteur, artiste et épouser le manichéisme imbécile qui nous dresse les uns contre les autres. Mon personnage, le Président Lucien Tanoé, a fini par quitter le cercle vicieux et vicié de la politique parce que le poète ne peut endosser les salissures du monde.

 

Votre roman en gros retrace les grands moments de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire. Cet avis vous convient-il ?

J’ai envie de dire que « retracer les grands moments de l’histoire politique de la côte d’ivoire », comme vous dites, que cela n’est pas un mérite de romancier. Le journaliste pourrait mieux le faire. En réalité, je veux que mon texte soit appréhendé selon le travail d’écrivain, c’est-à-dire sous l’angle du « procès d’écriture ». Le principal dans ce métier, c’est le rapport au mot, l’art avec lequel il faut habiller le texte et créer un coin de beauté, pour être en conformité avec la prescription du professeur Zadi qui parlait « d’odyssée du mot ».  C’est une condition à remplir. Maintenant, le reste vient comme la cerise sur le gâteau. On se souvient en ce moment-là que l’écrivain ou son œuvre ne viennent pas ex nihilo. Il y a en effet une dimension sociale qui enracine une œuvre dans une réalité historique donnée. D’où cette dimension de fond historique dans ce roman. Oui les grandes étapes de notre histoire nationale, du lendemain des indépendances à la crise postélectorale (…) Et puis, l’histoire que je raconte, ce n’est qu’une histoire de papier. J’ai voulu, non pas qu’elle rappelât les tours et détours de notre histoire objective, mais qu’elle en montre l’aspect le plus saisissant et finalement le plus utile à ce nouveau départ que nous espérons tous.

 

Vos personnages sont-ils construits à partir de modèles puisés dans le réel ?

Certainement. Mais il y a aussi un travail de re-création, de sorte que les personnages ne se retrouvent plus comme ils sont dans la réalité. Pour des besoins de  cohérence diégétique et pour construire la fiction, j'ai fait des aménagements, des réajustements. Vous verrez par exemple que tel personnage s’identifie par rapport à des déterminants qui sont caractéristiques d’un autre dans la réalité. J’ai passé en revue et mis en scène les grandes figures de notre histoire sans tomber dans l’obsession de la vérité absolue. Je me suis donné la marge de la fantaisie.

 

Le traitement onomastique de vos personnages répond-il à une raison particulière ?

Petite anecdote : quand j’ai écrit mes deux premières œuvres, une petite nièce m’a fait le reproche charmant et un peu naïf de ne pas parler d’elle dans mes textes. Pour faire l’oncle irréprochable, je lui ai fait la promesse de parler d’elle désormais. Le sort a voulu qu’elle soit en vacances chez moi au moment où je commençais « le bonheur est une métaphore ». Et elle était aux aguets. J’ai donc été obligé d’honorer ma parole. Or, elle s’appelle Massogbè. Après, il fallait faire les correspondances et les concordances nécessaires, en tenant compte de critères motivés par les liens familiaux notamment. Ainsi Massogbè a un frère ; il s’appelle Bamory. Elle a un mari ; il s’appelle Sekouba. Dans son environnement immédiat, se déploie en effet un répertoire onomastique caractéristique. Au fil du récit, le rayon s’élargit et d’autres noms apparaissent.

 

Je note que votre livre, du point de vue de l’écriture, est sublime et ne peut que plaire aux initiés. Mais il peut aussi rebuter la grande masse. L’avez-vous senti ?

Cette question en appelle d’autres. Pour quoi écrit-on ? Et pourquoi d’ailleurs ? Avec quels moyens le fait-on ou doit-on le faire ? Vous dites que l’écriture ne peut que plaire aux initiés. Je prends toute la teneur de la négation absolue que vous utilisez. Cela veut dire que le livre correspond bien aux normes érigées en la matière par ceux qui savent, en l’occurrence les initiés. Cela est un atout et une victoire. Pour couper court, on pourrait rétorquer que les fleuves doivent couler vers la mer et non le contraire. On pourrait aussi arguer qu’il y va du registre de la littérature comme de tous les domaines de la vie. Il y a l’élite et la masse. Pourtant je ne vais pas être aussi radical, cette allégation pouvant porter les germes d’une suffisance qui est contraire à mon tempérament. Tout juste, je voudrais dire que je respecte tous les lecteurs et tous les goûts, comme je respecte tous les textes et tous les créateurs. Même j’estime que la simplicité est une qualité qui est l’apanage des plus grands. Mais pas de cette simplicité creuse qui, est en réalité, un refuge pour ceux qui n’ont pas de talent à faire valoir. Pour ma part, je m’exerce à cette simplicité, si tant est qu’elle me fait défaut. Mais j’y vais doucement, sans renoncer à mon style et à la personnalité de mes écrits. J’y parviendrai sûrement parce que je continue d’apprendre.

 

Le rythme de la narration de ce roman est souvent lent, au risque de faire perdre le fil conducteur de l’histoire.

Les érudits musulmans rapportent un hadith dans lequel le prophète de l’Islam dit : « l’encre est sèche et l’encrier est rangé », pour relever un principe central de la foi : c’est que la création est parfaite, à l’image du Créateur. Le monde de Dieu est façonné avec une dextérité inimitable et il n’y a, nulle part, aucune faiblesse. Cette perfection n’est pas l’apanage des hommes, même des plus grands auteurs, encore moins d’un écrivain obscur comme votre serviteur. Cette lacune que vous relevez est tout à fait évidente, et est certainement liée, dans le cas de ce roman, au plaisir qui emporte le narrateur dans les séquences descriptives. Cela fait en effet trop de tableaux au détriment des actions qui soutiennent la dynamique narrative. C’est vrai, j’en ai tout à fait pris conscience. Et j'en avais beaucoup parlé avec mes correcteurs que je tiens à saluer ici : les écrivains Kobena K. Hilaire, Sanogo Moussa et Marshall Kissy, mais aussi les anonymes qui m’ont prêté leur regard quand nous mettions la dernière main au « montage » du texte. En définitive, si la perfection n’est pas de ce monde, il faut au moins œuvrer à écrire en s’en approchant le plus. Et je crois que ce roman a quelque valeur, comme vous le disiez vous-même plus haut.

 

Avez-vous l’impression d’avoir donné le meilleur de vous-même dans cette production ?

Chaque livre est une aventure avec le public, les lecteurs et la communauté des lettres. J'ai le devoir de donner le meilleur de moi-même à cette occasion. Il faut que chacun de nos livres, à défaut de constituer un évènement littéraire, ce qui vient avec la notoriété, consacre du moins un bail crédible avec ceux qui nous font l’honneur de nous lire. Oui, j’ai donné le meilleur de moi-même. Je veux en effet que chaque livre écrit de ma main soit meilleur par rapport au précédent, qu’il corrige les lacunes du précédent. Pour celui-ci, nous (mes amis et moi) avons mis un point d’honneur et une obsession certaine à corriger. On a tout passé au peigne fin. C’était plutôt fastidieux mais c’était utile. Maintenant les avis de mes amis d’ici et d’ailleurs et ceux des lecteurs que je rencontre, tout cela me conforte dans l’idée que le roman n’est pas mauvais. En tous les cas, j’ai déjà une satisfaction totale au plan personnel : j’ai pris du plaisir à écrire ces pages. Je l’ai fait avec sincérité et ce livre est tissé des couleurs de mon cœur. Pour un auteur, il y a une sournoise satisfaction à voir que le bébé lui ressemble bien. C’est sans doute une preuve qu’il n’a pas été cocufié.

 

 Par Elvis Apra

In Le Nouveau Courrier du 12 juillet 2014

 

 

 

 



13/07/2014
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