LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

"LE PAPILLON, une épouse en colère" de Boni-Bilé Viviane:"Quand les sanglots tarissent, la félicité fleurit!"

 

Première de couverture séductrice. En toile de fond, dans la pénombre, une demeure peu visible. Images de deux protagonistes. Le rouge. Un homme étranglé par la cravate sous les doigts féroces d'une femme en furie. Sont-ce là les signes d'un couple en difficultés? Les prémices d'un drame? Le prologue nous situe sur les psychologies de Kevin et Laura, un homme irascible, violent et peu respectueux de son épouse, une femme  baignant dans des larmes drues qui ne se résigne pas. Cela donne "Le papillon, une épouse en colère".



Clara et Kévin se rencontrèrent à Roissy- Charles de Gaule, à l'aube d'un voyage. Un vrai coup de foudre. Dans l'avion, tout part comme sur des roulettes, des chapeaux de roue. Des baisers langoureux, des promesses et la première "innocente" nuit. Des parents-obstacles vite neutralisés. Les dieux du mariage avaient scellé leurs vies. Ils convolèrent en justes noces."Ils se marièrent dans la plus grande discrétion" (p.50). Et patatras, Kévin fut harponné par le démon de midi après quatre belles années de couple. Dans la mégapole qu'est Abidjan, il papillonne de nénuphar à nénuphar. En pleine conscience que son mariage tangue, Clara échafaude des stratagèmes tendres mais aussi maculés de frayeur déstabilisante. Qu'adviendra-t-il de leur couple traversé par les inimitiés et infidélités? Réussira-t-elle à reconquérir son homme? 
"Le papillon, une épouse en colère" est un pathétique roman réaliste de vrai amour, l'amour comme la rose avec ses épines. C'est un bréviaire pour toute femme qui désire, vaille que vaille, sauver son foyer contre les intempéries sécrétées par l'infidélité. Sous cette couture, l'œuvre rappelle un certain didactique "Yamtchè" d'Ama Séwa. Des grappes de temps à vouloir rattraper et refaire le passé, des regrets immenses et tenaces pour avoir perdu bêtement le temps. Parfois des éclaircies fugaces qui les ont plongés un peu plus en profondeur. En son for intérieur, Clara "se disait que c'était le moment de frapper la bête comme un torero pour le terrasser"(p.162). Elle ne rêvait que de retrouver son Kévin dans ses strings charmeurs, sous le joug de l'affection auréolée de Maximilien, leur unique enfant. Du fond de son silence, ses joies éphémères et ses peines, au finish, elle découvre qu'en amour, parfois, l'on pleure, chante et célébre la vie. Pleurer en réinventant son parcours afin de se consoler de ses déboires et repartir du bon pied. Psalmodier aussi notre vécu. Pour triompher. La jeune dame n'était-elle pas en train de traverser la grande horloge sur le char d'une étoile filante? Tout s'était affaissé dans son esprit sonné par les rapides torrents du chagrin. Et tout repousse désormais sous l'emprise des gamelles d'amour que l'escapade balnéaire déversait depuis peu dans leurs cœurs. Grâce au plan à quatre étapes de Clara, le vent du bonheur recommença à fouetter leurs visages. Ils renaquirent pour se reconstruire. Entre brûlantes douleurs et immense bonheur, la folle extase inouïe qui enivre, éblouit et débouche sur le renforcement des liens, de l'amour. Toute cette félicité venue de Monogaga, de la bravoure et du sacrifice de Clara était pour eux une sublime obole. Quant à Kévin, bien que "vaincu", voguant entre orgueil mâle et peur de voir son mariage voler en éclats, il ne se mettra jamais à table pour un mea-culpa vertueux. N'était-il pas de la race des gens qui certifiaient que "L'homme est un chasseur"(p.201)? Pour paraphraser Ahmadou Kourouma, depuis quand le molosse abandonne-t-il son éhontée manière de se tenir sur son céans. C'est ici le lieu d'en appeler à la lourde responsabilité des hommes dans la vie de couple. Pour l'heure, en scrutant l'horizon pour éviter ou subir la prochaine bourrasque lubrique, la sagesse semblait avoir conquis l'impudique ardeur de coureur patenté de jupons de l'époux frivole. L'intermède de la plage et les potions du naturothérapeute furent des leviers importants pour ressouder délicatement les lambris d'un ménage qui était sur le point de tomber en ruines. Heureusement que l'honnête Clara, munie d'une force morale robuste et de la lucidité des hommes et femmes de droit, réussit à contrôler la situation. Avec à la clé de délicieux moments de villégiature et de tendresse. Et le rêve d'un bébé qui pourrait être le ciment "éternel" entre les deux tourtereaux.
Cette œuvre est aussi une pierre dans le jardin des parents qui, maladroitement ou égoïstement, font irruption dans les relations amoureuses de leur progéniture. On le voit, poussée par Nanan, la riche amante de son garçon, la mère de Kévin rue dans les brancards pour humilier et s'humilier. Ses propos sont inamicaux voire acides à l'égard de Clara:"Je suis venue te dire que je ne t'aime pas et qu'il faut que tu quittes le domicile de mon fils" (p.24). Et de corser la note:"Tu as lancé un sortilège (...) pour l'embobiner" (p.26). Ce sont là autant de paroles qui jettent souvent le froid glacial de la rupture dans de nombreux couples en gestation. Pour Boni-Bilé, une manière de crier haro sur le baudet.
Par ailleurs, avec les résultats probants de la méthode du docteur Mélaine, l'auteure chante les cantiques d'un plaidoyer pour la pharmacopée qui n'est pas assez exploitée. Témoignage: "Les remèdes que leur avait donné le docteur Mélaine avaient produit les effets attendus" (p.212). L'Afrique, à l'instar de la Chine et de l'Inde, a intérêt à creuser ce filon que les grosses firmes, de façon insidieuse, dévalorisent et dénigrent. Pour les Africains, un vrai travail d'Hercule à mener afin que la nature nous confie ses secrets thérapeutiques.
À la vérité, la romancière a l'art de peindre adroitement ses personnages qu'elle habille souvent de beauté plastique. Extrait: "Clara n'était pas une fille mince. (...) Elle était de teint noir et avait un corps parfait, tout en harmonie. Ses grands yeux étaient dessinés de façon particulière qui rappelait ceux d'une biche" (p.5). Même Senghor aurait langui ou pâli d'admiration ou de jalousie devant cette émeraude. Par contre, sur les aspects rythmiques de la narration, ce récit manque de souffle et de rebondissements qui impriment une course effrénée à la trame. Les nombreux et longs dialogues derrière lesquels s'abrite l'écrivaine en sont une preuve palpable. Il suffit, pour s'en apercevoir, de visiter par exemple les pages 46 à 48, 82 à 85, 129 à 131, 138 à 142... De plus, le texte ne suinte guère assez d'images qui font briller les pages de littérature. Comment en tenir rigueur à Boni-Bilé sous ces soleils de médiocrité, elle qui a sorti la tête de la bouse?

Grossomodo, ce roman, conçu en neuf chapitres dans le lit de deux parties presqu'égales, sans forcément atteindre les pics narratifs concentriques d'un chef-d'œuvre comme "Les Marcheurs de Bougreville" de Mahmoud Soumaré, est l'expression du courage et du sacerdoce d'une femme qui se bat pour ramener son homme dans le giron conjugal en l'arrachant des griffes des femmes qui lapent avec avidité dans d'autres ruches amoureuses infestées d'immoralité. 

Boni-Bilé Viviane, "Le papillon, une épouse en colère", éd. Les Classiques ivoiriens, 216p.

Soilé Cheick Amidou, critique littéraire.



26/06/2015
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