LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

Le temps de l’instant, Ahou N’Da

        « La faiblesse du cœur est sainte », disait Senghor. Cette justification de la veulerie du cœur trouve, justement, sa force dans le fait qu’il est le siège de tout sentiment. Notamment de l’amour. Cette excuse anoblit, du coup, l’embarrassante question de l’Amour et ennoblit ses corolaires. C’est ce que semble avoir compris Ahou N’Da. ‘’Le temps de l’instant’’ qu’elle écrit en 2013 est un véritable justificatif de la raison du cœur.

Dans son roman, Ahou N’Da pose une équation. Deux femmes, un homme. Dans ce yacht d’amour où Levi Konan est déjà installé, il ne reste qu’une seule place. Et une seule de Keren et d’Anne-Lise sa sœur, doit monter à bord avec le pilote.

       L’histoire s’ouvre sur les déboires amoureux d’Anne-Lise. Elle a offert son cœur sur un plateau en or massif à Roger son petit ami. Lui a préféré plutôt, au bout de quelques années, une adolescente plus fraîche et plus sûre d’elle : Magbê. Anne-Lise qui était folle amoureuse de lui, espérait toujours un retour de Roger. A Une soirée où, au profit de Magbê, elle est délaissée, Elle rencontre un inconnu qui la sort de sa solitude. Cet inconnu qu’elle reverra plus tard n’est personne d’autre qu’un des amants de sa demi-sœur Keren. Anne-Lise s’éprendra d’amour pour le colonel Levi Konan, ce fameux inconnu. Une véritable guerre froide s’installera entre les deux sœurs pour la conquête du bel homme. Keren, la méchante de l’histoire qui collectionne les hommes,  passera par tous les moyens détournés pour briser l’amour des tourtereaux. Mais comme toujours, l’amour sincère résiste à tout.

        Ce livre est d’une richesse inépuisable. Ahou N’Da nous fait une véritable leçon de tourisme. D’Abidjan à Man, en passant par Yamoussoukro, Daloa, Duékoué, Zagné et Guiglo, c’est pratiquement la côte d’ivoire que nous fait visiter l’auteure dans son livre à travers des traits d’amour. En mettant en exergue des sœurs, furent-elles demi-sœurs, Ahou N’Da explore un versant riche de cette vaste colline qu’est l’amour. Dans cette nature luxuriante c’est un relief varié qui est soumis à la contemplation de notre regard. L’auteure fait raisonner la kora de l’amour et résonner ses cordes sur le rostre de la liberté. Elle donne raison aux raisons du cœur. Ce n’est pas un totem ni un tabou que de se battre pour bâtir un foyer heureux avec un homme, même si en celui-ci, votre sœur qui a déjà un fiancé, voyait une aventure incongrue, d’infidélité. Il faut s’enhardir, donner la chance à l’amour de s’écrire avec des lettres de noblesse. La plume du narrateur ose la demeure sacrée d’Eros, le dieu de l’amour : « La fente s’agrandit. La table accueillit Anne-Lise, position primitive, hardie, crue.  La douceur de sa peau enivrait Levi, une excitation folle l’étreignit, la robe se retroussa, les cuisses se dévoilèrent. Ses jambes s’ouvrir, la moiteur de sa féminité vint à lui… » (p.100 – 101).

        Mais en défendant Anne-Lise, n’est-on pas en train de plonger les membres liés dans une piscine sans eaux ? La question de la légitimité de l’amour qui s’enracine dans une certaine liberté ne court-elle pas vers un libertinage certain ? « Son cynisme la choqua. La fureur et la honte se disputèrent l’esprit d’Anne-Lise. Elle n’avait pas su dissimuler son attirance pour lui ? … N’avait-elle pas d’amour propre pour être là  l’écouter parler de ses funestes desseins à leur égard toutes les deux ? ». N’est-on pas en train de réveiller et d’instaurer ‘’Mai 68’’ des occidentaux  sur nos terres ? La logique traditionnelle voudrait que lorsqu’une personne plait à un de vos proches, cette personne vous soit « totémisée ». C’est vrai qu’avec Blaise Pascal «  le cœur a ses raisons que la raison ignore », mais au fond n’est-on pas trop enracinée dans la civilisation occidentale qui ne contient aucun bourgeon de nos belles traditions ? Ces questions constituent la porte ouverte à une plate-forme de méditation profonde. Pour l’instant nous savourons le délicieux récit d’Ahou N’Dah. Et l’amour qu’elle expose joliment fait vibrer l’harpe de nos cœurs.

        Ce récit est une pure source nectarifère. La narration est empreinte d’une certaine maturité circonspecte. La poésie y coule à flot. Elle y pleut à verse. Une véritable averse plaisante de belles paroles poétiques. « Premier baiser, danse enfiévrée de lèvres, délectation des sens échauffés, plaisir au-delà des mots. Les flammes  de la passion léchaient leurs âmes, embrasaient leurs corps. » (p.30). En plus une sorte de didascalies évoquant parfois les pensées profondes d’un personnage, d’autres fois les impressions du narrateur facilite la compréhension du récit et implique le lecteur dans l’engrenage exponentiel du récit. L’emploi de la métaphore fait fort de mèche avec la personnification. Cela donne des images plaisantes et agréables : « leurs sourires rayonnant firent pâlir de jalousie le soleil. » (p.111).

        Pour un deuxième livre, l’auteure est à féliciter. Le sérieux, la dévotion et le goût de la culture sautent à l’œil. Nous ne pouvons qu’inciter les amoureux des belles lettres à la découverte de ce livre merveilleux.

 

Abdala Koné

Ahou N’Da, le temps de l’instant ; les classiques ivoiriens, 2ème trimestre 2013 ; 177 pages.

            



16/06/2015
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