LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

COUP DE GUEULE : LE CHANGEMENT, C’EST POUR MAINTENANT ? OU LA TUMULTUEUSE RELATION AUTEUR-EDITEUR

 Bien sûr que si : l’écriture, le monde du livre et des lettres font fantasmer. Encore plus que la politique, même si la relativité pourrait nous contredire. Écrire un article sur les relations qui s’instaurent entre auteurs et éditeurs, est un sujet bien délicat, mais qui mérite d’être abordé de plein front. Un livre qui marche, c’est grâce au talent de l’auteur.

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Mais un livre qui ne décolle pas, c’est à cause de l’éditeur. On pointe du doigt l’abominable éditeur, l’affameur, le détrousseur de vieilles dames, faisant son beurre, et l’argent du beurre sur le dos de ces pauvres écrivains - mal aimés, incompris, spoliés, et j’en passe... -, qui n’en peuvent plus, acculés à la ruine, à la déchéance et à la misère, futurs SDF... mais qui persistent et s’acharnent à expédier leurs manuscrits à ces voleurs patentés que sont les éditeurs... Houlà, et le dernier apparaît comme celui-là même qui une fois l’ouvrage imprimé, mettra tout en œuvre pour planter le lancement et s’interdire toute chance de retour sur investissement… Brigue ! L’auteur et l’éditeur, c’est une vie de couple entre deux tempéraments de fer, égocentriques et, parfois, il faut le dire, un peu cinglés. L’un sans l’autre, ils ne sont rien. Ensemble, ils aspirent à la gloire. Evidemment.

 

Car à y regarder de près, le rapport éditeur-édité n’est pas loin du rapport mari-femme dans un couple : on s’aime, on se le dit ; on s’engueule, on se déteste, on se le dit aussi. On se déchire, mais au final, on reste ensemble, pour les enfants au mieux, pour le chat ou le chien au pire. Quoiqu’il en soit, il y a problème. Et le problème demeure entier. Admettons-le, de nos jours, beaucoup d’écrivains s’installent devant la feuille blanche et noircissent du papier : leur quotidien d’écrivains se résume alors très vite à écrire leur quotidien. Sans parler enfin de l’écriture conçue comme une thérapie, le dévidoir d’une diarrhée verbale intarissable, toute une vie vomie sur une rame de papier.

 

Il suffit de demander à n’importe quel éditeur : la fonction de publier s’apparente souvent à une séance géante de psychothérapie ; sans parler des auteurs qui harcèlent le standard, hurlant au complot, ne concevant pas de ne pas être publiés, persuadés de tenir en main le prochain Prix Nobel, hurlant à la censure au moindre déplacement de virgule, intransigeant à la moindre suggestion de modification du texte. Et patita ! Et patita ! Combien d’éditeurs savent alors qu’ils sont avant tout des psys, des banquiers, des confesseurs, des conseillers informatiques version traitement de textes, des rebouteux de l’âme et du corps, des redresseurs de torts, avant d’être tout simplement des éditeurs ? Cependant, toutes ces jérémiades font-elles véritablement avancer le débat, si débat il devait y avoir ? Car la relation éditeur-édité est la même depuis qu’un individu en a convaincu un autre de lui confier la gestion de ses droits intellectuels pour l’aider à diffuser les fruits de sa pensée au plus grand nombre.

 

Dans cette première enquête (décembre 2013-mai 2014) que nous rendons public, 260 auteurs ivoiriens donnent leur avis sur les relations qu’ils entretiennent avec leurs éditeurs. Une occasion idéale de faire un état des lieux. Les auteurs ayant répondu à notre questionnaire représentent tous les secteurs de l’édition. Ils négocient seuls leurs contrats d’édition (100 %) et travaillent très majoritairement avec plusieurs éditeurs (82 %, dont 30 % d’entre eux avec plus de 2 éditeurs différents). Plus du tiers ont signé des contrats au cours des deux dernières années (contrats à compte d’éditeur dans 99 % des cas).

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1-       Des relations contrastées

La question posée cette année aux auteurs quant au satisfecit accordé (ou non) aux éditeurs était très précise. Il ne s’agissait plus d’évaluer la relation d’une manière générale avec l’ensemble de ses éditeurs mais de la distinguer selon les éditeurs. Dans ce cadre, 8 % des auteurs estiment que les relations sont satisfaisantes, voire excellentes, avec tous leurs éditeurs ou la majorité d’entre eux. Et 92 % estiment, à l’inverse, qu’elles sont non satisfaisantes, voire conflictuelles, avec tous leurs éditeurs ou la majorité d’entre eux. Cependant, ils sont 67 % à estimer qu’elles sont non satisfaisantes avec tout ou partie de leurs éditeurs, et 25 % qu’elles sont même conflictuelles. Ils sont, à l’inverse, 5 % à estimer que ces relations sont satisfaisantes avec tout ou partie de leurs éditeurs, et 3 % qu’elles sont même excellentes. On note alors un degré de satisfaction absolument inverse à l’état d’avancement de la vie du livre. 

  • À propos des contrats proposés par l’éditeur : c’est une moyenne générale de 5/10
  • À propos de la collaboration avec l’éditeur sur le travail de création : près de 8% des auteurs sont satisfaits, près de 83 % ne le sont pas et seulement 7 % attribuent une note moyenne.
  • À propos de l’exploitation commerciale par l’éditeur : plus de 21 % des auteurs sont satisfaits, plus de 65 % ne le sont pas et seulement 14 % attribuent une note moyenne.
  • À propos de la communication et de la promotion des livres effectuées par l’éditeur : près de 0,5 % des auteurs sont satisfaits, plus de 99,5 % ne le sont pas et pratiquement tous voire 90% attribuent une note terrible au dessus du médiocre.
  • Reddition des comptes : C’est le rire du destin. 98% assurent ne pas avoir l’assurance que les exemplaires de livres sur le marché sont ceux déclarés par l’éditeur et qu’ils n’ont malheureusement aucun outil de vérification. 2% ont créé leurs propres maisons d’édition pour cette même raison, lourde et inquiétante. Relevons que 0% ne reçoit aucune reddition de comptes de la part de tous les éditeurs ivoiriens. 51% l’ont réclamé à plusieurs reprises et seulement 2% ont reçu des redditions pas claires et incomplètes.
  • Rémunération : Les lignes sont stables pour le livre imprimé sur le front du taux de rémunération lorsque celui-ci s’appuie sur le prix public de vente de l’ouvrage : la très grande majorité des auteurs perçoivent moins de 10 % de droits d’auteur (10 %), le taux de 10% s’applique à près de 70 % et 12% sont au-dessus de 10 %. Un chiffre plus inquiétant : 8 % des auteurs sont rémunérés à un taux inférieur à 5 % du prix public de vente. S’agissant du livre numérique, rien à faire, personne n’en sait rien. C’est un phénomène mal connu sur nos tropiques. Et parlant des à-valoir, 62% ne savent pas ce que c’est et les 100% ne le reçoivent pas. Enfin, et même s’ils ne sont pas très nombreux, il faut continuer à dénoncer le fait que 3 % des auteurs sont encore rémunérés sur les recettes nettes de l’éditeur, que 2 % n’ont même aucun droit prévu dans leurs contrats, que 15% ne reçoivent jamais leurs droits d’auteurs, que 9% reçoivent la totalité de leurs droits d’auteurs suite à des litiges avec l’éditeur et 4% les reçoivent à moitié après moult et tumultes.

 

2-      Quelques solutions

Les temps ont changé, l’édition s’est industrialisée. On peut certes le déplorer, mais c’est ainsi, il faut faire avec. Ce qui n’empêche pas, soyons honnêtes, certains éditeurs d’en profiter et de se comporter comme des margoulins. De même on ne peut nier l’opacité du système. Mais, quelles que soient les réformes et autres améliorations qui pourraient lui être apportées, vouloir vivre exclusivement de sa plume dès le premier roman, voire même le deuxième, relève de l’utopie et du rêve éveillé. Dans l’écriture et l’édition, il y a une part de prise de risque qui, quoi que l’on en pense, pèse plus sur l’éditeur que sur l’écrivain. Que doivent faire les écrivains ? Leur association devrait concevoir des stickers à imposer aux maisons d’éditions et aux libraires afin de fluidifier les opérations de vente et garantir un tant soit peu la sérénité entre auteurs et éditeurs. Aussi, l’association pourrait-elle, pourquoi pas, penser à créer sa propre maison d’édition pour éviter les pleurs quotidiens des auteurs ivoiriens face à ce que beaucoup appellent aujourd’hui « l’arnaque à la carte des éditeurs ».

 

Manchini Defela

Journaliste, Critique Littéraire

in Le Nouveau Courrier du 13 juin 2014



14/06/2014
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