LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

Interview/ Benjamin Kouadio, artiste-auteur de bandes dessinées

L’artiste Benjamin Kouadio n’est plus à présenter dans le milieu des créateurs ivoiriens. Il a réussi à force de travail à imposer la bande dessinée comme un genre incontournable. A chacune de ses parutions, il nous oblige à interroger la société dans laquelle nous vivons. Cette entrevue porte sur son personnage John Koutoukou, le héros d’une trilogie qui se vend bien.

 

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Le héros de votre BD porte des prénom et nom qui allient l'anglo-saxon (John) et l'Africain (Koutoukou)...Y a-t-il une raison particulière?

Tout ne s'explique pas. Ce personnage a été créé quand j'étais en classe de quatrième. Le prénom anglo-saxon « John » pourrait provenir de mon penchant pour la langue anglaise. « Koutoukou » pour son addiction à cet alcool frelaté qu'aime consommer une partie de la population ivoirienne.  Il était plus vieux, chauve. Mais le personnage a évolué au fil des années. Physiquement, psychologiquement.... Comme c'est le cas de la plupart des personnages de BD. Souvent par le fait de la censure ou par convenance personnelle

 Un personnage alcoolique? Quel exemple pour la jeunesse? C'est en partant de ce constat que j'ai fait évoluer le personnage pour arriver à sa mouture présente. Mais j'ai pris soin d'en garder le nom. "Koutoukou" sonne bien et suscite un brin d'humour.

 

John Koutoubou se réclame artiste musicien....ce choix n'est pas innocent, n'est-ce pas?

 Oui, tout à fait! Ce choix n'est pas innocent. Il y a quelque chose que l'on retrouve souvent dans la BD dont j'aimerais parler. Trouver le bon filon pour faire évoluer le personnage. En le mettant dans des situations relevant de son statut. (…)Un statut duquel l'on tire toute la quintessence pour non seul)ment intéresser le public, mais aussi le fidéliser. Et la musique est un de ces domaines en ce qui concerne mon personnage John Koutoukou, l'artiste de proximité! L'éveilleur des consciences anesthésiées par les mauvaises habitudes. Lui, la voix des sans-voix. Il a encore d'autres casquettes que je dévoilerai au fil des albums. Sa vie d'artiste me permet en tant qu'auteur de le mettre en situation à travers des histoires fictives ou vécues. Sur fond d'humour bien entendu.

 

John Koutoukou, l'artiste, la voix des sans voix, est souvent victime de brimades et d'humiliations de toute sorte. Cette façon de "traiter" le personnage incline à penser que la mission de conscientisation par l'art est vouée à l'échec.

 

Le contraire m’aurait étonné. La vie d’un artiste n’est pas de tout repos. Au-delà de cette mine joyeuse de façade que l’on affiche bien souvent. Dans la bande dessinée humoristique où la caricature et le burlesque cohabitent harmonieusement, l’on peut prendre certaines libertés. L’exagération est permise et sied bien. Pour faire souvent plus vrai que nature. Certaines pratiques ont la peau dure. C’est ce que JK fustige et lui vaut tous ces quolibets. Combien de gens acceptent-ils qu’on les interpelle sur des faits avérés dont ils se sont rendus coupables ? Certains vous le font savoir par l’indifférence et le mépris. D’autres par des propos discourtois. Il y a une autre catégorie d’individus qui utilisent la force de leurs muscles pour se faire entendre. D’où des agressions physiques. Ce sont des réalités que je transpose dans cet univers de la BD. Tout n’est pas que senteur et beauté au pays de la rose. Il faut prendre en compte ses épines. Heureusement que tous les protagonistes ne sont pas réfractaires au discours salutaire de notre artiste de proximité JK. Je conseille la lecture de tous les albums de la série pour s’imprégner de toutes ces réalités. Il n’y a pas que « Le sida tue, et alors ? » Et cela est loin d’être un pessimisme. Bien au contraire. Ce n’est pas parce que l’on rencontre de l’hostilité face à une cause juste qu’il faille baisser les bras ou se taire. Tout combat mené n’est pas gagné d’avance. Cela requiert de l’endurance et de la persévérance. JK ne reçoit pas toujours que coups, brimades et humiliations. Heureusement. Les enfants à contrario le lui rendent bien. Les graines qu’ils sont aujourd’hui, mises en terre, arrosées et bien entretenues deviendront les beaux épis de demain. Cela me ramène à un verset tiré du livre des Proverbes 22:6 « Enseigne à l’enfant la voie qu’il doit suivre. Et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas ».  Les adultes, c’est toujours compliqué. Ils ne savent pas bien souvent ce qu’ils veulent. La mission de conscientisation par l’art n’est nullement vouée à l’échec. Bien au contraire.

 

Dans l'album Abidjan est gâté, vous fustigez les hommes de Dieu. Pensez-vous qu'il y a péril à la maison de Dieu?

 Je ne fustige pas les hommes de DIEU. Bien au contraire ! Ils font un travail remarquable pour le salut des âmes égarées. Je fustige au contraire une certaine catégorie de soi-disant hommes de Dieu. Des loups ravisseurs dans la bergerie. Qui dictent leurs lois aux ignorants et travaillent à l’appauvrissement spirituel et matériel des fidèles qui bien souvent n’ont aucun discernement. Des béni-oui-oui comme on en trouve à la pelle. Il y a de plus en plus de déviations. Le monde a colonisé l’église. Mais qu’il sache une chose : ils rendront un jour compte à Dieu. A moins qu’ils ne se repentent. Eux qui sont devenus des matérialistes à souhait, dealers, vendeurs de drogue, proxénètes, vendeurs d’illusions. Et j’en passe. Ils demandent aux fidèles de s’appauvrir à leurs dépens. Ces vendeurs d’illusions poussent de plus en plus comme des champignons sur les dépotoirs de nos églises. Ils n’hésitent pas à faire étalage de leur luxe insolent et insultant acquis à l’aune de la sueur de leurs fidèles. Faut-il fermer les yeux sur de tels comportements rétrogrades? Eh bien non ! Jésus, Jean-Baptiste, Eli n’ont pas fermé les yeux sur les dérives de leurs contemporains. …J’attire l’attention des fidèles à ouvrir les yeux sur ces dérives. A demander le discernement à DIEU. Beaucoup sont des sorciers, des mystificateurs, des agents du diable. C’est tout sauf des serviteurs de Dieu. Ils ont pour dieu leur ventre. Une BD que je conseille à tous.

 

Il y a des images dans vos albums qui ne laissent pas le lecteur indifférent: la langue qui pend, de la fumée qui sort des narines, des bras multipliés etc. N'est-on pas loin du réalisme qui semble vous préoccuper lorsqu'on observe vos thèmes?

Pas du tout. Répondre par l'affirmative serait méconnaître les règles qui régissent le neuvième art. Il y a deux grands types de bandes dessinées : comique ou humoristique et réaliste. Il y a un autre genre qu’on pourrait ajouter : la BD semi-réaliste. Dans lequel on classerait Tintin de Hergé... La bande dessinée a élaboré un certain nombre de procédés qui donnent vie à ses images. Elle parvient ainsi à traduire le mouvement, les bruits et les sentiments. Une langue pendante traduit l’essoufflement, suite à un gros effort physique. De la fumée qui sort des narines pour traduire la fureur. En comparaison au taureau en furie. Des bras multipliés pour traduire le mouvement. Cela s’appelle aussi « l’effet Marey » qui sert à montrer une transformation ou un mouvement très rapide. Certaines parties du corps sont démultipliées. Ce sont des techniques narratives que l’on retrouve le plus souvent dans la BD humoristique ou comique. Il y a un coup de pouce à donner à la réalité : l’exagération. Le dessinateur de BD comique ne craindra pas d’appuyer ses effets quelquefois jusqu’au burlesque le plus extravagant. Il n’en demeure pas moins qu’il soit très réaliste dans la représentation de ses décors, ses objets, etc. C’est le cas du célébrissime André Franquin dans Gaston Lagaffe et Spirou.
Pour revenir à moi, je fais un rapprochement de mes personnages avec la race canine. J’y trouve un plaisir fou. Et cela me permet de trouver des gags très intéressants à mettre en forme. Je me situe dans le genre semi-réaliste. Au niveau du dessin. J’aime jouer dans les deux registres. Quant aux thèmes, ils sont d’un réalisme qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Je pense.

 

Merci l'artiste! J'apprends toujours un peu plus avec toi.

Merci surtout à toi de prendre le relais en replaçant sous les feux de la rampe la BD ivoirienne et ses créateurs là où tes devanciers (journalistes) l’ont laissé. Et merci de me permettre de dévoiler ces pans d'informations enfouis en moi pour le bonheur des inconditionnels du neuvième art.

 

Interview réalisée Par Macaire Etty

 

in Le Nouveau Courrier du 24 octobre 2014



24/10/2014
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