LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

Hymne à la Nation de Steve Bodjona : Le chant d’un poète de la patrie

Si l'art n'a pas de patrie, disait Camille Saint-Saëns, les artistes en ont une. Celle du poète Steve Bodjona est le Togo, son pays, auquel il consacre « Hymne à la Nation »

 

Lorsque le rêve en soi devient rougeoyant, l’envie de dire devient oppressante. La plume se met en transe et pousse le poète à une série de parturitions. Pour notre auteur, ce rêve c’est la grandeur du Togo ! Sur la première de couverture du livre, sur un fond bleu scintille un joyau architectural dans la nuit. Juste à côté, la carte graphique du Togo vêtue des couleurs nationales au milieu de laquelle des visages d’enfants. Ce visuel, riche en symboles, traduit l’espoir et l’optimisme du poète malgré les incertitudes. Il dénote le rêve de la renaissance de son pays. Togo ! Deux syllabes succulentes pour lesquelles il se consume jour et nuit.

Le recueil, organisé autour de trois séquences dont le nombre de poèmes (7, 9, 21) suit une évolution ascendante en fonction des sinuosités des sentiments qui bouillent à l’intérieur du poète. La troisième partie se présente alors comme le point culminant d’un parcours affectif,  là où traduisant les espoirs et les attentes de son peuple, il est prêt à s’offrir en sacrifice expiatoire en faveur de la grandeur de la mère patrie. La voix du poète se mue en un appel messianique où les mots comme réconciliation, l’union et l’unité surgissent de façon itérative, voire obsessionnelle.

C’est pour le Togo que cette hymne est tissée, chantée par le barde Bodjona. C’est pour ce bout de terre que vibre son cœur exalté : « Je leur dirai que mon pays c’est le Togo/ Qu’il est et demeure sur terre le plus beau/ Car s’il fallait renaître, ce serait au Togo/ Puisque j’ai partout cherché sans trouver plus beau » (p 20). Quelle belle déclaration d’amour !

La structure du recueil est tel un voyage dans le temps, un cheminement qui met à portée d’yeux ce qu’a été ce pays, ce qu’il est et ce qu’il doit être. Le passé du Togo évoqué voire revisité laisse entrevoir cette période avant l’indépendance, ce temps de braise, de douleurs, d’épreuves. Cette rétrospection n’est pas seulement une invite à se souvenir des heures de souffrances. Elle est surtout un hommage à ceux et celles qui par le sacrifice de leur vie ont permis au Togo de chanter : « Liberté ! Liberté ! Liberté !/ Ablodé ! Le 27 avril, Ablodé/ Chants et clameurs/ Indépendances, délires, bonheur » (p22). Car avant que le soleil ne se lève sur la terre natale, il y a eu des martyrs, ceux « qui malgré les vicissitudes, ont tenu bon/ En maintenant la barque avec flegme/Alors que sombre était à l’horizon » (p 18). Le temps d’euphorie passé, les yeux du poète s’ouvrent sur les réalités d’un pays aux prises à des contradictions et des divisions. L’enthousiasme cède la place à l’amertume. La voix du poète empreinte de chagrin prend les notes de la complainte et des lamentations. Comme le prophète Jérémie dans la bible, le poète, refuse de se taire face à son peuple qui tâtonne et titube dans la brume des inconséquences politiques. Les poèmes de la deuxième section du livre épousent un registre à la fois pathétique, lyrique et satirique. L’isotopie de l’amertume suinte à travers une kyrielle de vers : « Mon cœur saigne » « Mon âme part en lambeaux » (p 33) « j’enrage » (p 37). Les mots que le poète accouche n’ont d’autres desseins que de débusquer les maux.

Faut-il se contenter de se lamenter ? Faut-il attendre que la maison brûle pour venir avec une flûte et chanter sur les décombres ? Le poète qui déclare « Il n’y a que du beau dans mon Togo » appelle à l’union, la fraternité, la solidarité comme voie pour accéder à la Terre promise. C’est ainsi qu’on exprime son amour pour son pays. Paul Verlaine a raison de dire : « L'amour de la Patrie est le premier amour/ Et le dernier amour après l'amour de Dieu » (In Bonheur).

Les poèmes de Steve Bodjona sont pétris dans un style dépouillé. On peut leur reprocher leur relative pauvreté en termes d’images et leur manque d’audace stylistique. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue que « Hymne à la Nation » est un chant d’amour ; et dans une déclaration d’amour, pour atteindre la cible, il faut être simplement simple. On n’appelle pas à l’union et à la réconciliation avec des énigmes. Steve Bodjona, l’a bien compris.

 

Macaire Etty

 

Steve Bodjona, Hymne à la Nation, Poésie, Editions Continents, 2014

 



01/07/2015
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