LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

INTERVIEW/ Mathurin Goli Bi Irié, auteur de « Silence…La Récréation est Terminée

Le succès de La Lycéenne sa première production romanesque l’avait propulsé au-devant de la scène littéraire. Il y égrenait les maux qui minent l’école ivoirienne. Dans ce deuxième roman, l’auteur reste dans le même espace mais avec une idéologie nouvelle. A nos questions, il répond.

Le père de « La Lycéenne » nous revient avec une autre lycéenne. Quel amour pour les lycéennes on a envie de dire ?

Pas d’amour particulier. Seulement, je pense qu’il faut protéger et conseiller les lycéennes pour qu’elles n’empruntent pas des chemins du déshonneur. Elles doivent absolument échapper à la lubricité des hommes, gagner leur pain par le fruit de leur travail. Je pense bien que dans une société, quand la femme est bien éduquée, l’humanité a la chance de réussir.

 

« Silence … la recréation est terminée », en voilà un titre qui scotche. Il scotche davantage quand c’est notre lycéenne qui en est l’autrice. Un commentaire ?

En tant qu’écrivain, j’ai un projet de société pour mon pays et par ricochet pour mon Afrique. Par le titre «  Silence… la récréation est terminée », je voudrais dire que l’heure de l’action est arrivée pour mon pays et pour mon Afrique. Car, nous avons assez dansé, chanté, accusé l’Occident d’être la cause de nos malheurs. Nous avons dormi sur la natte d’autrui. Il est donc temps que notre société se réveille et sorte de sa léthargie par le travail. La personne chargée pour mener ce combat, pour conscientiser le monde scolaire, l’interpeller, est une lycéenne qui n’a rien à voir avec Mireille Ozoua du roman ‘’ La Lycéenne’’. Ici il s’agit d’une autre lycéenne…une lycéenne de défi, de l’effort et de la persévérance. J’ai encore choisi le monde scolaire parce qu’il est le creuset de développement de chaque société.

 

Page 5 on peut lire ‘’Boribana’’ ‘’Zrin-mintin’’ ‘’Zouzou’’  et bien d’autres encore.  Pourquoi tous  ces noms folkloriques ?

L’adjectif Folklorique que tu emploies me gêne. Je pense que ce n’est pas dans un sens péjoratif. On a souvent l’habitude de jeter aux mouches ce qui sort de notre vécu culturel. Est-ce que je serais un homme civilisé si mes personnages portaient des noms d’emprunt qu’Aimé Césaire qualifie d’estampilles humiliantes. Sachez que je suis Gouro. Et donc je dois véhiculer la culture de mon terroir. Sincèrement, en ce qui me concerne, je préfère le nom ‘’Irié’’ à  ‘’Mathurin’’. Je trouve que Mathurin n’est autre que l’aveu tacite qui confirme la perte de mon identité culturelle. Ces noms de Blancs dont nous sommes fiers de porter sont une trace indélébile de la colonisation qui nous révèle méchamment la domination que nous avons subie. J’aime donc des noms de chez moi, ces noms qui ont un sens dans mon ethnie et qui correspondent  à la spécificité de ma race.  Si nous voulons un jour triompher dans ce monde, tout commencera par notre adhésion à notre valeur culturelle. Nous devons faire en sorte que notre culture voyage, conquiert d’autres horizons à travers les livres que nous écrivons. Ceci étant, Boribana est un nom malinké qui veut dire ‘’la fin de la course’’. C’est un autre ‘’Silence’’ que je voulais exprimer. Kayéli veut dire, ‘’vous la verrez plus tard’’. Zrin-mintin c’est le nom de la fourmi noire que mes ancêtres ont donné à la rivière sacrée de ma famille. Cette rivière est l’ange gardien de nos esprits et de nos forces. Zrin-mintin est la sainte cène de ma famille. Quand je la bois, je suis cuirassé. Et ‘’ Zouzou’’, c’est la chance. 

 

Parlant de la république de ‘’Boribana’’, s’agit-il d’une pure imagination de notre écrivain ou avez-vous été inspiré par une république quelconque ?

Il n’existe jamais de vide référentiel. Tout ce que l’on fait, pense, réalise s’appuie toujours sur du vécu. Je me suis inspiré des réalités que l’on vit dans certaines républiques d’Afrique noire. C’est en faisant allusion à cette réalité que le livre joue la fonction de miroir de la société. Dans le cas précis de mon roman, j’ai fait la sélection des tares que l’on trouve dans beaucoup des pays africains.

 

Isabelle Kayéli notre lycéenne qui sort positivement par son attitude des sentiers battus. Croyez-vous en une génération d’isabelle Kayéli dans nos contrées ?

Après la lycéenne qui était un roman à tonalité réaliste, en fait, un réquisitoire cinglant contre les lycées du pays, j’ai voulu cette fois-ci, rêver avec les lycéennes de mon pays. Kayéli, dans son rôle nous rappelle la fonction prophétique de la littérature. Certes, il faut critiquer mais il faut aussi faire des propositions. Les spiritualistes disent que tout ce qui est pensé par l’homme, est toujours réalisable. Alors, je pense bien que la lycéenne de mon roman peut faire rêver les lycéennes de nos pays africains.

 

Pouvez-vous nous expliquer cette phrase de la page 15 «   l’illusion sera un leurre »  ?

Om m’a appris de ne jamais expliquer ce que j’écris. C’est le doute qui plane sur des pensées de l’écrivain qui consacre aussi la valeur de sa pensée. Mais cette fois, je vais trahir ma foi. Dans certains angles, on peut penser à la tautologie. Je dis non. Ces mots, je les ai sciemment employés pour montrer leur divorce  à un moment donné. L’illusion et leurre sont des mots qui ont des valeurs polysémiques. Dans le déroulement de leurs champs lexicaux, ils peuvent s’imbriquer ici et s’exclure là. J’ai pris illusion comme ‘’croyance’’ et leurre comme ‘’erreur’’.  La mère de Kayéli voulait dire à sa fille que par sa foi, ce qui est déjà consacré peut être remis en cause.

 

Lorsque vous écrivez «  DIEU de l’Afrique fainéante »  avec grand ‘’ D’’  on en vient à se poser des questions ? Qu’avez-vous voulu signifier ?

J’exprime mon pessimisme quand je vois l’essence de l’homme noir. J’ai l’impression que la noirceur de notre peau est une malédiction divine. Partout, dans l’univers, l’Afrique et par ricochet l’homme noir, tisse en majorité sa natte sur celle déjà confectionnée par les Blancs. Regardez ! Notre façon de penser, de nous habiller, de nous donner des noms, de parler, de faire l’amour, de juger les autres, est calquée sur le mode de vie de l’homme Blanc. Cela fait longtemps que l’homme noir est sous le joug de la domination de l’homme Blanc. J’accuse Dieu. C’est ma conception. Je ne connais pas l’histoire de la création de l’humanité. Si je me trompe, c’est de bonne foi.

 

A la page 66 on lit «  Chacun était fier d’afficher le christianisme venu de l’occident comme un effet de civilisation. »  Un procès contre la religion ?

Non, pas de procès contre la religion. Je dénonce le mimétisme révoltant de l’homme noir. Tante N’Zouhô qui conseille la débauche sexuelle  à ses enfants et à sa nièce, chaque Dimanche, se montre elle aussi exemplaire en empruntant le chemin du temple. Cela ne répond à aucun devoir moral. Elle le fait parce que chez nous, aller à l’église c’est être comme le Blanc, notre modèle. Cet acte rappelle la soumission aveuglante que l’homme Blanc a léguée au peuple colonisé. Le chrétien noir pense qu’il est plus évolué, plus nanti spirituellement que son frère qui, sans temple, croit en Dieu.

 

Belle-côte, l’autre occident, le paradis terrestre…pour dire les choses comme vous. Vous nous donnez l’image d’une Afrique noire, aussi noire et même plus noire que  sa peau. C’est quoi le véritable message ?

Vous avez fait sortir le texte du contexte. J’ai fait la part des choses. Tout n’est pas noir chez l’homme noir. Dans mes diatribes généralisées, j’ai reproché aux Noirs leur manque de propreté car leur univers est insalubre. Je leur ai reproché leur ingérence dans l’intimité du voisin, l’abandon de leur langue, de leur dieu. Et aux Blancs, j’ai reproché leur inhospitalité, leur indifférence face à leur voisin, leur individualisme. En lisant donc cette partie, je ne fais aucunement montre d’un pessimisme exacerbé sur le destin de notre continent.

 

Avec isabelle Kayéli, quel  est le message qui est adressé aux lycéens et surtout à nos  Etats ?

Isabelle Kayéli est une lycéenne exemplaire. Elle est honnête, courageuse, sincère,  respectueuse. Face à la faim, elle ne cherche pas à survivre par la débauche sexuelle. Elle est une femme battante, une femme consciencieuse. Elle n’est pas une lycéenne envieuse. A travers elle, j’adresse aux lycéennes du pays un message d’intégrité morale, de vie débarrassée de l’impudicité, de la mendicité des notes, du gain facile. Je veux faire rêver nos jeunes filles qui, un jour, devront gagner leur pain à la sueur de leur front. Pour réussir cet idéal de vie, elles doivent s’empêcher d’emprunter des raccourcis, des chemins tortueux qui les exposent à l’éclaboussure de leur dignité.

 

            Interview réalisée par Atté Sostène

 



21/06/2015
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