LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

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Les Marcheurs de Bougreville de Mahmoud Soumaré : Saveur et amertume de la vie terrestre africaine

Il est connu : chaque fois qu’un scientifique se met à l’écriture, il y va avec toute la rigueur des sciences exactes. Thierno Monenembo, William Sassine, Akoto Yao etc.  sont, dans le domaine, des exemples convaincants. Mahmoud Soumaré, professeur de mathématiques, nous en fait la démonstration avec son roman « Les Marcheurs de Bougreville », publié aux éditions Les classiques ivoiriens.

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Lorsqu’on a fini de lire ce roman, on se rend compte que l’intrigue est loin d’être apprivoisée. L’histoire qui coule sous la plume de Soumaré n’est pas rectiligne ; elle se tord, convulsionne, prend des détours, fait des arrêts, avance, recule mais avance tranquillement. Le lecteur suit les scènes de vie sous le regard de Makane, le personnage principal de l’œuvre. « Les Marcheurs de Bougreville » se veut un faisceau de lumière sur la vie des hommes aux prises avec leurs démons et pourtant aspirant au paradis. Les méditations y sont nombreuses et les allusions multiples.

C’est l’histoire d’une cité prise aux pièges de ses propres contradictions. Cette cité - l’Afrique en miniature - est écartelée entre spiritualité et matérialisme, entre besoin d’élévation et aspiration à un bien-être terrestre. Les habitants de Bougreville, brisés par les contingences de l’existence, aspirent au bonheur. Mais ils ne savent pas quel chemin emprunter. La méchanceté et l’animalité les dominent jusque dans leur âme. Le nain, surnommé Kougourou c’est-à-dire «  le morceau » qui s’est engagé à ouvrir leurs yeux aux valeurs nobles est assassiné simplement. Albinossa (un abinos) et Rouquino (un rouquin) eux aussi sont tués à cause de leur altérité. Il paraît que leurs organes servent à des rituels qui rendent riches. C’est donc à juste titre que Makane voudrait partir : « « Il y a des matins, comme çà, où je voudrais partir/ Changer de langue et de pays/ Car rester c’est périr, et les racines/ C’est par là qu’on pourrit » (P 156).

Pourtant, dans cette cité, vivent de grands porteurs de lumières, de véritables étoiles. Mais des étoiles aux lueurs limitées, incapables de chasser les ténèbres qui noircissent l’âme.  L’imam Famakan et le moine-soufi, sont des fontaines de sagesse au milieu de ces hommes qui pourtant ne veulent pas se désaltérer. De pauvres bougres les habitants de Bougreville ! Et Makane de les observer avec tristesse, de s’interroger sur leur incapacité à s’élever.

Le roman  - « Les marcheurs de Bougreville » - met en opposition la lumière et l’ombre, le bien et le mal, la grandeur et la petitesse. N’est-ce pas cela aussi la vie terrestre dans ses fabuleuses ondulations et oscillations, où les lueurs et les pénombres, dans un perpétuel recommencement se relaient ?

 Les personnages dans ce livre sont d’une épaisseur remarquable. Antipathiques ou sympathiques, l’auteur brosse leur portrait moral avec dextérité. La figure de la femme, fort mitigée, offre divers sujets d’études et de réflexions. Epouse ou mère, elle est fortement présente dans la diégèse et participe à la dynamique de l’histoire.

Le roman de Soumaré se lit avec une attention soutenue. Chaque chapitre est une forêt de symboles qu’il faut savoir interroger pour dompter le sens. Chaque paragraphe est peuplé d’énigmes et d’allégories qu’il faut pouvoir décrypter pour accéder à la substantifique moelle. Le style d’écriture de notre auteur est imagé, poétique, délicat, avec une préférence pour des phrases proches des aphorismes. Un roman fort. Un auteur profond.

 

Macaire  Etty

 

Les Marcheurs de Bougreville (Mahmoud Soumaré), éditions classiques ivoiriens, roman, 2014



06/04/2015
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