LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

MANIFESTATIONS ET FONCTIONS DU FANTASTIQUE DANS « LE CREPUSCULE DE L’HOMME » DE FLORE HAZOUME

Le 26 février 2015 , au foyer K de l’université Houphouët-Boigny, à la demande des étudiants du Club Littéraire, j’ai donné une communication à partir d’un thème tiré du roman Le Crépuscule de l’Homme » de Flore Hazoumé. Ci-dessous, la version condensée…

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L’année 2000 a enregistré la publication des textes de fiction sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Le registre réaliste reconnu comme impuissant à nommer l’innommable, à explorer la bêtise humaine a cédé le pas au fantastique. Car selon Gilbert Millet et Dénis Labbé « toute crise de société est favorable au fantastique ». Le roman Le crépuscule de l’homme de flore hazoumé, à notre sens, s’inscrit dans cette perspective. Notre tâche est de démontrer en quoi ce livre répond-t-il au registre fantastique et quelles en sont les fonctions.

 

On parle du fantastique, lorsque dans un récit réaliste, surgit le surnaturel. Cette modalité littéraire s’articule avec des événements impossibles à rationaliser. Elle fait la part belle au Mal et à ses incarnations. Il s’harmonise avec l’horreur et l’angoisse. Le fantastique est une littérature de la souffrance, de la folie, de l'échec. Dans Le Crépuscule de l’homme, le fantastique se manifeste par la mise en scène des personnages présentant des symptômes de la maladie mentale, de la violence extrême. C’est le cas de Pascal, qui selon nous, est une figure de Lucifer : « oui Pascal était un sorcier, sinon le diable lui-même » (p 97). Il développe, lui le jeune homme, une régence incroyable sur Bernard Gassana, un adulte. Pascal s’adresse à ce dernier en ces termes : « Avec moi, tu ne risques rien. Si tu ne me fais pas confiance, tu ne seras jamais ce que tu veux devenir » (p 99). En toute évidence, il est le mentor de Bernard Gassana, qu’il instrumentalise pour détruire le pays. Pour ce faire, il fait subir à son disciple maints rituels (p102-103 ) pour le préparer à la prise du pouvoir.  Karim, est le seul à réussir à déstabiliser par le regard Pascal et Bernard Gassana. « Karim avait le don de le mettre hors de lui, et il était le seul, Bernard Gassana l’avait remarqué, à décontenancer Pascal » (164). A côté de ces personnages, on peut citer aussi Edith dont la proximité avec la mort l’impose comme une jeune fille entièrement à part. « Dans ma famille aussi, se dit Edith, par ma naissance, par mes parents, je suis marquée par le sceau obscur de la mort ». Pourquoi avoir choisi d’être médecin-légiste, de travailler parmi les morts, de donner le dos à la vie ? » (p 182).  

 

La peinture des espaces apporte aussi une touche fantastique à l’œuvre. L’espace principal du roman est Bunjulaba, la capitale du pays imaginaire de l’œuvre. Le déclenchement de la guerre tribale transforme la mégapole en une jungle, un univers de chaos où la mort ricane. Les collines, par leur position perchée, se voulaient un espace de sécurité et de refuge. Mais là aussi, la réalité vire au rouge. Elles se transforment en un espace macabre où la vie est presqu’impossible. La forêt sacrée de Kolloukro également est un espace rituel. Ce qui s’y passe échappe à toute approche rationnelle. Les espaces décrits dans l’œuvre par leur caractère surnaturel ou funeste répondent à la typologie des espaces propres au fantastique.

 

Les thèmes aussi sont à intégrer dans le corpus des critères du fantastique dans le roman de Flore Hazoumé. Ainsi se succèdent et s’entremêlent des thèmes comme la guerre, la mort, l’échec, la folie, le funeste. Les figures de la folie sont portées par des personnages comme Gassana et Emilienne. Bernard Gassana dévoré par la haine, dans les collines, semble avoir perdu ses facultés mentales. Il est en proie à des hallucinations en voyant en son épouse Emilienne une autre Claire sa première femme tuée lors d’une guerre. Le thème de la folie se justifie également par la rage meurtrière des populations qui ont l’impression de trouver leur survie dans les massacres.

Les manifestations du fantastique reposent clairement et également sur l’esthétique de l’œuvre. Le titre par exemple, l'élément le plus important d’un ensemble paratextuel, joue sa partition dans ce registre. Un titre est selon Charles Grivel "ce signe par lequel le livre s'ouvre : la question romanesque se trouve dès lors posée, l'horizon de lecture désigné, la réponse promise » (Production de l’intérêt romanesque, Paris-La Haye, 1973, P. 173). Le titre du roman de Flore Hazoumé est un groupe nominal dont le point focal est le mot « crépuscule ». Au sens figuré, le crépuscule c’est « ce qui décline, ce qui est proche de disparaître ». Le titre fait par conséquent allusion à la fin de l’homme et par extension à la fin de l’humanité, du monde.

 

La structure du récit d’un texte fantastique répond au schéma traditionnel décliné en trois parties : situation initiale, élément perturbateur et situation finale. La structure du récit dans Le Crépuscule de l’homme à première vue répond à ce schéma. Pourtant il y a une nuance qu’il faut relever. Le roman débute par un tableau de l’épilogue avec les rescapés de la fin du monde que sont Edith, Moïse et Babou pour s’achever par le même tableau d’anéantissement avec les trois miraculés. Nous sommes en face d’une boucle, d’une sorte de cercle infernal dans lequel l’être humain semble être pris au piège. Cette nuance dans le schéma du récit du fantastique renforce l’originalité de l’écriture de Flore Hazoumé. Dans ce roman de Flore Hazoumé les structures narratives sont éclatées et fragmentées. L’auteure intègre dans la narration, différentes formes de discours. Parmi la pléthore de figures de style, l’écrivaine convoque de façon récurrente l’analepse qui consiste, au récit d’une action appartenant au passé (p 16-17-18 et P9). Evidemment nous notons l’usage de l’hyperbole, de la métaphore et de la comparaison qui sont ostensiblement en harmonie avec toute évocation du surnaturel et de l’insolite. L’oxymore aussi occupe une place importante dans l’écriture du fantastique chez Hazoumé : « sombre beauté » (p 5) « charme maléfique » (p21) « l’ennemi-frère-de-sang »(60) « deux frères de sang s’entretuaient »(60) « une délectation morbide » (61).  Selon Rosemary Jackson «l’oxymore est le trope fondamental du fantastique, la figure rhétorique qui réunit les contraires, qui les tient ensemble en une unité impossible, sans pour autant aller vers la synthèse». Nous notons également les isotopies de l’étrangeté et de la violence qui hantent le texte d’un bout à l’autre. L’Emploi des interrogations exacerbe l’angoisse et l’insolite  (p56- p62).

 

En somme, l’écriture de Flore Hazoumé,  met en lumière les diverses manifestations de la folie et de la violence. Cet art comme le dit Sony Labou Tansi a «la force de faire dire à la réalité ce qu’elle n’aurait pu dire par ses propres moyens ou, en tout cas, ce qu’elle risquait de passer volontairement sous silence» (S. Labou Tansi 1985: p. 11).

La question qui se pose alors est la suivante : quelles fonctions peut revêtir le fantastique dans ce roman ? Chaque fois que le fantastique est exploité par des écrivains «  cette création a été la résultante d’un bouleversement, d’une rupture dans le type de société » (Roger Bozetto et Arnaud Huftier, 2004, Les frontières du fantastique, p 9). Le fantastique tel qu’utilisé dans ce roman a d’abord une fonction critique. Flore Hazoumé dans ce récit dénonce les cruautés humaines ou encore la déshumanisation de l’être humain qu’on retrouve dans la figure du psychopathe figuré par Bernard Gassana. Le fantastique, ensuite, se veut une parole thérapeutique. Il provoque chez le lecteur des émotions, des angoisses en le mettant en face de ses problèmes accumulés consciemment ou inconsciemment et devenant ainsi un moyen de libération, un moyen cathartique. Enfin, le fantastique a une fonction esthétique. En épousant cette forme romanesque Hazoumé revendique l'autonomie de la littérature contre ceux qui veulent la mettre sous un joug. La rupture des limites entre le monde réel et le monde surnaturel donne libre cours aux transgressions. L’écrivain transcende donc la rigidité des codes et autres cadastres littéraires. Par le recours à ce registre littéraire, Hazoumé réussit à donner forme à l’« indicible et participe donc à la rénovation de la littérature africaine. En cela, le Crépuscule de l’Homme appartient aux nouvelles formes d’écriture qui marquent le désir d’autonomie et de rupture des créateurs africains avec leurs devanciers et leurs maîtres.

 

Etty Macaire

 

Le crépuscule de l’homme (Flore Hazoumé) , Ceda, roman, 2002



13/03/2015
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