LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

« Terre brûlée » de Moussa SANOGO : Quand la poésie dramatique exorcise les démons de la guerre

Il y a presqu’une année, les Editons Balafons publiaient Terre brûlée, le premier ouvrage de Moussa SANOGO. Elles révélaient ainsi un jeune dramaturge dont l’originalité stylistique l’imposera comme l’un des meilleurs de sa génération.

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Dès la page 3 de l’ouvrage, le mot « tragédie » fonctionne comme une lanterne qui, de sa torche brûlante, éclaire le lecteur sur la scène théâtrale. En effet, les premières didascalies plantent le décor et font humer les effluves de « la fumée fétide des murs calcinés du palais des lagunes ». Pour coller à l’horreur de la guerre qui fait des victimes innocentes, le dramaturge fige ce décor délétère où il met en action deux types de personnages. D’une part, ceux qui fonctionnent comme les personnages principaux (le Président déchu, le Général Dodogbo Zogobadi, et le Commandant des Envahisseurs FandamariDjari) et d’autre part, les personnages secondaires (Pleureuse, Courtisan, Autochtone, Allogène, Voix…). Tous ces personnages agissant et parlant font évoluer la trame jusqu’au dénouement qui, le lecteur en est ainsi averti, ne sera pas une fin heureuse : la pièce se terminera par la mort d’un personnage. Pourtant, cette pièce s’adresse à tous ceux qui sont épris de paix. Elle fonctionne comme un rituel de purification qui nous libère de nos rancœurs et de nos rancunes dans une patrie exsangue, « celle des pères hués/Des héros tués/Des territoires calcinés ! ».

Une œuvre inspirée de la tragédie classique

Ce qui fascine le plus dans l’ouvrage, c’est qu’avec Moussa SANOGO, la tragédie classique renaît de ses cendres. D’abord avec l’application de la règle de l’unicité : une seule action se déroulant en une seule journée sur un seul lieu. Les questions de l’identité, de la souveraineté et des litiges fonciers qui ont empoisonné la vie des Buréniens ont eu pour corollaire une guerre fratricide qui s’est soldée par la chute du Président Zogobadi dont la capture constitue le nœud de l’action. Comme dans les tragédies classiques, cet antihéros meurt d’une mort violente, exécuté sur ordre de l’Ambassadeur, symbole triste du banditisme des nations impérialistes. Moussa SANOGO emprunte également au classicisme le caractère sérieux de l’intrigue qui met en scène des personnages anoblis par leur position de chefs, descendants de héros mythiques africains (Soundjata, Moro Naba, Zokou Gbeuly), qui tiennent à défendre leur honneur. Fandamari commande ses rebelles. Zogobadi, même terrassé, est un chef d’Etat. Enfin, l’Ambassadeur est un diplomate influent.

 

Un style qui se démarque pourtant des normes dramaturgiques

Comment ne pas être charmé dans Terre brûlée par l’audace littéraire de Moussa SANOGO qui se plaît à torturer les contraintes normatives héritées de la tragédie classique ? On remarque surtout que sur le plan structurel, la pièce théâtrale de Moussa SANOGO est subdivisée en trois actes corrélatifs au lieu de cinq comme c’est le cas pour les tragédies classiques. Ici, les actes ne comportent aucune subdivision (scène). En revanche, ils se déclinent en trois unités séquentielles : la capture de Zogobadi, l’exercice du pouvoir par Fandamari et la tirade dépressive de l’Ambassadeur. Comme on le voit, chaque personnage principal domine un acte. Autre élément de rupture : il faut relever le refus de l’alexandrin classique, ce vers, au rythme binaire, qui fait respirer les tragédies de Racine et de Corneille. L’auteur de Terre brûlée, à l’instar des dramaturges africains, est un adepte indécrottable de la liberté d’expression dramatique. Il faut sortir du carcan de la norme, s’affranchir des règles inhibitrices de la création artistique pour insuffler une brise révolutionnaire sur le théâtre moderne. Moussa SANOGO opte plutôt pour un mélange savant et agréable de prose poétique et de vers libres où se bousculent musicalité prosaïque et sonorités plaisantes. La dextérité de ce jeune dramaturge fait transpirer la phrase et respirer les mots à l’intérieur des vers bien ciselés qui foisonnent dans les répliques. Alors que les tragédies classiques ne dérogent pas à la règle de la noblesse des personnages, Moussa SANOGO introduit dans la sienne un autre type de protagonistes issus du peuple. En outre, la présence des gardes y est une trouvaille ingénieuse qui permet au dramaturge de rappeler que les barrières sociales n’ont pas sauté avec la Révolution. A chacun sa place donc ; il ne faut que mélanger les oiseaux de même plumage ! D’un côté, nous avons les abonnés des salons feutrés du palais et de l’autre, la plèbe qui croupit tragiquement dans la misère. Autre remarque dans Terre brûlée : la fonte des scènes est compensée par une organisation interne bien montée. A titre d’exemple, la scène d’exposition est perçue dans les tirades de la Pleureuse et du Courtisan, de la page 11 à la page 16. Ces répliques, fonctionnant comme une protase, ouvrent le sujet en plantant le décor. Nous l’avons déjà dit, le sujet est sérieux. C’est pourquoi, dans une sorte de moralisme manichéen où cheminent l’outrance et la simplicité des caractères, Moussa SANOGO met à nu les contradictions internes qui menacent l’unité de la Burénie. Ce pays imaginaire qui ressemble, à bien des égards, à tous ces pays africains dont les hommes politiques, atteints de monomanie incendiaire, ne se parlent franchement qu’après avoir calciné leur patrie, symbolisée dans la pièce par les ruines du palais présidentiel. Le constat est douloureux qui interpelle la conscience du démiurge : les enfants de ces républiques bananières s’entretuent pour des calembredaines !

 

          Une pièce rigoureuse et riche de poéticité

Terre brûlée de Moussa SANOGO est une œuvre au style plaisant. Il est mieux de plutôt dire que c’est une poésie dramatique où est omniprésente une musicalité interne rythmée qui séduit au fil des pages. Le dramaturge ruse avec la langue pour faire chanter harmonieusement les mots :

« Ces montagnes de montages montées…» p. 11

   […]

« Et les flammes, ô les flammes sur le corps de ma femme

   […]

   Et les viols à même le sol comme pour rendre folles

   […]

   Souviens-toi bien, donc, héros de demain » pp. 28-29

 […]

« La frénésie des fanatiques, la fantaisie des fantassins » p. 37

   […]

« Charia d’où charrie la charité chérie » p. 83

  Ici, les assonances reviennent en écho dans les tirades où le dramaturge devient poète. Ces sons qui se rapprochent font souvent haleter le cerveau du lecteur. Moussa SANOGO recourt régulièrement aux paronymes et homophones qui participent aussi de cette agréable musicalité :

 « Esclaves sans maîtres / Négociant cent mètres carrés / Sans mettre des gants…

On note son recul / On ôte toute retenue… » pp. 42-43

   […]

« Torses sublimes pour le toast ultime » p. 55

 

On pourrait se tromper à prendre cette pièce pour un mélodrame tant les notes musicales y sifflent continuellement ; une diversité de sons y cohabitent continuellement. Dans l’Acte 3, à la page 92, l’Ambassadeur s’est écrié :

 

«  Que le Kapartchin crépite

    Et que le Djéguélé dérange

    […]

   Que m’accompagnent la clarinette et Ahoko

    […]

   Que le Goumbé sonne haut… ».

 

Ô symphonie inachevée ! Tous ces instruments traditionnels tirés de la culture ivoirienne n’ont pas émis le moindre son car cette pièce n’est pas un mélodrame, c’est une tragédie qui porte sur une question universelle : la lutte pour le pouvoir. Le prétexte se prête bien au jeu de Moussa SANOGO. Il nous livre donc une pièce qui est, à voir de près, « un long pleur ». En effet, le verbe « pleurer » et ses dérivés y sont employés de façon obsessionnelle. Ils traduisent une vive douleur chez le dramaturge; son cœur saigne de voir son pays déchiré et « sali par le carbone négrisant de la terre brûlée ». A la page 81, ces vers larmoyants de Zogobadi parlent d’eux-mêmes :

 «  J’ai lu entre les lignes

    J’ai dit mon chant du cygne

    Pour avoir décelé trop de signes

    Et j’en mourrai peut-être plus digne ».

Comme on le voit ici encore, le dramaturge-poète remet le couvert : cette disposition en escalier symbolise les marches qui permettent au Commandant Fandamari de monter sur le trône et au Zogobadi de descendre de son piédestal. Il fait alterner deux vers de 6 syllabes et deux vers de 9 syllabes en rimes plates comme pour rappeler les divergences qui opposent ces deux hommes dans l’entretien-vérité qui se déroule au palais présidentiel.

Pour tout dire, ce travail n’a fait que ressortir quelques pépites qui parsèment Terre brûlée. Mis à part les blancs (espacements) entre des mots et quelques coquilles que le travail technique de l’éditeur aurait pu corriger, l’ouvrage est un vrai bijou littéraire qu’il faut absolument se procurer. Moussa SANOGO, le « Racine ivoirien », est un orfèvre de l’art dramatique. Son style original et révolutionnaire fera mouche !

 

Hilaire Kobenan,

enseignant-écrivain

 

Moussa Sanogo,  Terre Brûlée, éditions Balafons



26/06/2014
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