LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

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"TOMBE NUPTIALE" d'Ankon Justin Miessan: "Le couperet de l'entêtement passionnel"

Tantôt il fait divorcer de Dieu, tantôt il brocarde certains guides religieux qui font traîner leur soutane dans la fange. Dans "Tombe nuptiale", Ankon Justin, sans être fabuliste, se veut surtout moraliste tel La Fontaine.
Akomian, protégé des Ahoty, tombe éperdument amoureux de Boussouman, la benjamine de ses hôtes, qui refuse cette idylle. Le généreux soupirant le prend mal et est prêt à tous les sacrifices pour attirer la jeune fille dans ses rets. Il va jusqu'à voler dans son entreprise. Sorti du bagne, il continue d'espérer. Boussouman préfère son professeur d'anatomie avec qui elle périt dans un accident sur la route de Bassam. Que fera Akomian pour assouvir sa soif ?



Les premières lignes de ce roman sont un hymne à l'hospitalité, une manifestation charnue de l'humanisme. « Akomian n'ayant aucun parent à Abidjan fut hébergé par une famille N'zima» (p.5). Dans la pure tradition africaine, il est reçu et intégré chez les Ahoty. C'est le fils que leurs reins ne les ont pas offert que la providence leur octroie à travers ce merveilleux garçon serviable. Le jeune, de par sa conduite exemplaire, avait séduit et convaincu plus d'un. Voici le terreau de la confiance qu'on lui vouait.


Mais, il y avait la belle Boussouman. Elle avait grandi et pris des rondeurs à faire pâlir. La jeune fille était « belle, attirante, attrayante, désirée et pulpeuse » (p.63). De quoi tourner la tête à Akomian qu'elle refusait d'accepter comme amant ou époux. C'était son frère désormais. Le jeune homme, malgré les cadeaux dont il couvrait la fée, n'eut point gain de cause. Il en prit ombrage. Son esprit et son âme furent transis de haine lorsqu'il apprit les circonstances de la mort de Boussouman. « Je te hais Boussouman! Tu ne mérites pas que je te pleure » (p.66) trancha-t-il. Le décor et l’atmosphère de l'amour passionnel et ses travers se mettent ainsi en place. Comment ce garçon correct a-t-il pu exhumer un cadavre pour lui faire l'amour? La nécrophilie, cette inhumanité fécondée par les miasmes et les impudeurs de l'esprit de vengeance, fait du chemin dans nos cités. Ankon Justin, au détour de ce récit d'un amour impossible, rue dans les brancards pour mettre le grappin sur les comportements malsains de l'espèce humaine. Sous l’ère des sacrifices humains, des enlèvements d’enfants et des rituels sanglants, le personnage principal n'est qu'un prétexte, un « sujet métonymique » qui permet de tirer à hue et à dia sur l'homme dont la cruauté est de plus en plus immonde et nauséeuse. Ah ces esprits retors et tordus tirant la Cité vers le bas !


"Tombe nuptiale", c’est aussi le prix de l'entêtement. Le jusqu'au-boutisme déglingué et aride en lucidité met en exergue les pires défauts de l'âme endurcie. L’on perçoit ici une étude de la psychologie purulente d’Akomian qui désire obtenir les offrandes de l’amour au forceps. Or l’amour baigne très souvent dans les eaux des caprices. Il est aveugle. Le cœur a ses propres repères et ses instruments spéciaux que la raison ne peut jauger ou appréhender. L’entêtement a un salaire comme l’ouvrier qui a terminé sa besogne. Devant le refus catégorique et cinglant de Boussouman, à deux reprises, Akomian aurait dû s'armer de courage et faire le deuil de cette union espérée. L’entêtement crapuleux… Ce passage en est une illustration pimpante : « Moi, Akomian quand je décide quelque chose, je le réalise (…) Elle pensait que je ne pourrais jamais lui faire l’amour ; pourquoi dans son cercueil elle n’a pas réagi quand je lui infligeais une correction sexuelle ? Je l’avais prévenue que même dans sa tombe, je coucherais avec elle ! » (pp.80-81). Voilà comment le titre, caracolant sur les ailes de cerf volant, s’oxygénant dans le cocon coquet d’un bel oxymore, se justifie. Un mariage contracté et consommé dans l’antre funeste d’un cimetière. Ces noces atypiques avec une dépouille est l’évocation de l’étendue immorale voire amorale de cet amoureux sans limites. S’ensuit le délire et la folie. Triste fin d’ « un homme parfait, doux (et) taciturne » qui avait fait du respect et de la disponibilité des vertus. D’où la portée didactique et moralisatrice du récit réaliste d’Ankon Justin.


Sans atteindre l’écriture fastueuse et hardie de "Le divorce de Dieu", ce roman a aussi ses charmes dont la simplicité, la clarté, les images et les jolis bonds en avant qui font galoper le récit. Observons que quelques balafres têtues ne se sont point laissé dompter par le scanner de la correction. Et elles sont là à se rire de nous.

Au total, une œuvre à lire pour mesurer jusqu’où l’homme peut chuter dans l’abîme sur l’échelle de la morale. Car, les Akomian, c’est nous. Malheureusement !

Ankon Justin Miessan, "Tombe nuptiale", éd. Classiques ivoiriens.

Soilé Cheick Amidou, critique littéraire



27/06/2015
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