LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

" UN MILLION D'EUROS POUR 48 HEURES": UNE QUÊTE LIBERTAIRE.

«  Je ne crois à ce terme à la mode: L'évasion. Je crois à l'invasion. Je crois qu'au lieu de s'évader par une oeuvre, on est envahi par elle. Ce qui est beau; c'est d'être habité, envahi, inquiété, obsédé, dérangé par une œuvre ».  Cette pensée suggestive de Jean Cocteau illustre bien à propos notre état d'âme après avoir ingurgité " Un million d'euros pour 48 heures" de Samuel Dégni.

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 Ce qui a vraisemblablement titillé nos sens littéraires de sorte à nous envahir,  nous déranger, c'est sans aucun doute sa quête obsessionnelle de "poéticité "à travers la convergence des genres, la variété des images et des formes de symbolisation les plus surprenantes; la stratégie narrative dévoilée par les distorsions narratives, la transhumance de l'espace fictionnel et la portée philosophique qu'elle dégage.

 

         "Un million d'euros pour 48 heures" nous présente un style des plus déroutants étant donné la constellation des genres. En effet, par moment, nous nous demandons bien si nous avons affaire à un roman, à un conte initiatique, à une épopée ou même à la poésie tellement les faits vécus sont parfois magiques surprenants,  voire irrationnels. On a l'impression de se trouver dans deux mondes à la fois: celui de la réalité avec des faits habituels et celui de l'irréel où le merveilleux prend le dessus. En d'autres termes, les genres littéraires se donnent rendez-vous dans cette oeuvre pour accoucher d'un genre métissé, rebelle à l'écriture classique étouffante. C'est une véritable quête esthétique, mieux une quête " libertaire".

 

           L'écriture par moment semble se sublimer pour se débarrasser des pesanteurs sémantiques et  voguer dans la sphère éthérée de l'irréel. L'auteur utilise des formes de symbolisation linguistiques les plus surprenantes. Les mots, comme le disait le poéticien Bernard Zadi Zaourou vont à l'aventure en changeant constamment d'isotopie: la parole devient ainsi profonde et requiert une initiation pour saisir sa portée significative. Ce sont les cas de l'expression: " tam-tam" tendu pour faire allusion au sexe masculin en érection, de: " nuit musclée" pour désigner l'opacité de la nuit et de" regard assoiffé" qui exprime l'avidité du regard. Pour l'essentiel, retenons que les mots sont magiques par moment comme cette histoire fantastique vécue par Pedro le personnage principal.

 

          Samuel Dégni a opté pour une narration non linéaire. Les distorsions narratives qui ballottent le lecteur entre le passé et le présent des personnages l'attestent bien. Ce phénomène ondulatoire récurrent de rétrospections semble nous mener dans le temps et dans l'espace. Dans cette même veine, il faut ajouter la transhumance spatiale. En effet, l'intrique évolue dans un espace constamment changeant. L'histoire qui prend sa source en Espagne, nous mène en France, en Italie, aux Etats Unis et en Afrique. Cette multiplicité de l'espace est l'expression d'une innovation de l'écriture. Samuel Dégni brise ainsi le carcan spatial de l'écriture négro africaine qui se limite très souvent en Afrique. Au-delà de cette écriture mosaïque, cette œuvre suggère une pensée philosophique indéniable.

 

 L'oeuvre nous enseigne d'une certaine manière la notion du bonheur.  Pedro, le personnage principal est hanté par le désir irrésistible d'être puissant et riche. Cette hantise le pousse à vendre son âme à une confrérie. Il reçoit une forte somme à dépenser en quarante-huit heures. A travers cette histoire rocambolesque, l'auteur nous transmet sa conception du bonheur qui ne réside ni dans le pouvoir ni dans la richesse démesurée. Il est lié plutôt à l'équilibre du corps, de l'âme et de l'esprit. L'excès est un véritable opposant à la quête du bonheur. L'œuvre a donc une fonction cathartique remarquable.

 

             Au total, nous retenons que cette œuvre qui trace un nouveau sillon de l'écriture nous entraîne  dans un long tourment. Et cela tient de l’émancipation des mots par rapport au réel, des distorsions narratives, du brassage des genres, des changements de l’espace et de la portée philosophique du livre. C’est par conséquent une œuvre des grands tourments.

           Nous vous invitons à vous enivrer de plaisir en lisant '' Un million d'euro pour 48 heures". Sûrement vous explorerez des reliefs plus colorés. '' Un bon livre est celui qu'on trouve plein après l'avoir vidé''. Jacques Deval.

 

JULES DEGNI

Samuel Degni, 48 heures pour Un million d’Euros, Prédiromance, 2015

In Le Nouveau Courrier du 27 février 2015



03/03/2015
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