LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

Interview/ Konan Roger Langui, auteur de "Wandibla"

Konan Roger Langui, enseignant-chercheur ivoirien, est spécialiste de poésie. Il a publié il y a peu, Wandi Bla, une œuvre poétique à long cours au bout de laquelle se trouve une postface. Le poète dans cette entrevue nous aide à comprendre sa démarche …

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L’image sur la première de couverture fait cohabiter des instruments traditionnels africains et un micro.  Qu’est-ce que vous avez voulu exprimer par cette sorte d’hybridité visuelle et sémantique ?

Mais c’est ce qu’est l’Afrique aujourd’hui : un mélange contrasté d’images, de rythmes, de sons (…). En réalité cette couverture est une mise en scène par l’image. Vous avez une foule amassée derrière un micro et devant, c’est le tam-tam parleur. Précédemment, en lieu et place du tam-tam, c’étaient les hommes politiques. À cette place, devant ce micro, ils endoctrinaient le peuple. Le tam-tam a opéré une sorte de révolution –poétique- et est en situation de restauration du peuple. Le batteur n’est pas visible parce qu’il s’est toujours effacé devant l’aura du tam-tam et du message. Et pendant que le message tonne, on voit poindre à l’horizon, vers le haut au centre, un rayon lumineux qui symbolise la lumière de la vérité. À l’opposé, vers le bas, dans l’angle à gauche, les ténèbres de l’ignorance se dissipent peu à peu. Certains, dans l’assemblée, y jettent d’ailleurs un regard de mépris.

 Dans ce poème à long cours, vous attribuez au tambour reconnu comme un messager, un panégyriste, un agent rythmique, une fonction de dénonciateur. N’êtes-vous pas en train de le sortir de ses prérogatives classiques ?

Pas du tout ! Nous ne retournerons plus dans les limites strictes de nos cultures. Nous devons aujourd’hui les réinventer et repousser leurs frontières. Quand on va vers la tradition, il faut savoir en revenir, sinon on devient un homme du passé. Le tam-tam parleur a une fonction sociale variée qui peut aller de la simple transmission de message à l’invective. Il est aussi sacré et à cette fin, il est porteur d’une autorité transcendante sur les humains. Il domine en certaines occasions donc la royauté au service de laquelle il opère. Mais il n’est pas moins au service du peuple... De plus, il est bon de savoir qu’il existe deux types de tam-tam parleur : il y a l’Attoungblan et le klin kpli. Le premier, commun à tous les Akans, se joue avec des bâtonnets. Le second, klin kpli (littéralement gros tam-tam) semble être propre aux baoulés. Il se joue, lui, avec les mains. Tous les deux ont un double rôle dans la société. Ils jugent le peuple et le pouvoir autant qu’ils les servent. J’emploie donc plusieurs façades de leurs propriétés.

 

Votre poésie transcende le cadre du jeu des mots, elle épouse les contours d’un cri de rage contre la démission des Africains, le silence de nos doctes et les frasques du système impérialiste. Votre commentaire

Avec le recul, je pense que la raillerie, la provocation, la dérision, jouent un rôle important dans la poétique qui se dégage finalement de mes œuvres. Le jeu de mots opère dans le camouflage ou, du moins, habille esthétiquement la rugosité du langage. Le mobile est de déconstruire une vision du monde pour en installer une autre qui convienne aux besoins des nouvelles générations. Donc « jeu de mots » oui, dans la mesure où chaque mot employé a la responsabilité d’accoucher son successeur. Mais le poème n’est pas un jeu que le poète oraliste n’est un jongleur… ; « cri de rage » ?, oui également mais le cri et la colère sont portés par le contexte ; le tam-tam n’est qu’un consolateur qui se soucie de l’harmonie des sons et des sens. 

Que peut la poésie oraliste pétrifiée par l’écriture dans un monde qui ne lit pas assez ?

Ce que j’ai espéré en écrivant ce livre, c’est que ceux qui l’ouvriront un jour, peu importe le temps, ne le referment pas sans l’avoir achevé, et que ceux qui le liront, n’en sortent pas indemnes. Une raison à cela : l’œuvre ne se referme pas sur les tragédies désolantes de notre temps, elle veut les transcender et inventer des remèdes. Elle est si pétrie de notre quotidien qu’elle nous affecte forcément. Mais c’est surtout le message qui en jaillit comme les flots de l’océan ; un message révolutionnaire qui peut effectivement révolutionner les choses. Vous savez, la Parole poétique est tout un pouvoir…et parfois, on n’a pas besoin d’être des milliers pour faire une révolution. Une parole de vérité peut provoquer des houles autant qu’une pierre qu’on jette à l’eau. Mais la vérité est que j’ai écrit pour les réfugiés : refugiés de guerre ou refugiés politiques ; pour les martyrs mais en tout cas pour toutes les victimes des politiques de myopes dans lesquelles nous baignons ces temps-ci. J’ai écrit donc pour ceux qui nous gouvernent ou qui aspirent nous gouverner. Je souhaite donc que tout homme politique qui veut écrire un projet de société en Afrique aujourd’hui, lise absolument ce texte qui sera à défaut, un instrument de censure de régimes, une arme de combat mais aussi un instrument d’émancipation des peuples.

 

Quels sont les fondements de cette postface, manifeste du courant indépendantiste ? Et pourquoi trouvez-vous le besoin de rappeler la postface d’Ethiopiques de Senghor ?

Les fondements de cette postface sont de deux ordres. D’abord, il s’agissait de répondre à l’impasse que traverse la critique aujourd’hui sur la littérature négro-africaine. Vous le savez, je suis poéticien, et le débat entre critiques porte sur la contradiction qu’il y a à revendiquer une identité négro-africaine à une littérature qui ne s’exprime jusqu’ici que dans la langue du colon d’hier. À partir de là, il fallait donner un sens au combat qui s’impose à notre génération, qui est de neutraliser le colonialisme et les effets de culpabilité ou de doute qu’il a installé dans notre imaginaire. J’ai rappelé Senghor  parce que nous sommes les légataires de son combat. Certains veulent faire de lui le porteur d’une certaine francophonie, je crains qu’ils ne l’aient compris.

Le terme « indépendantiste » semble avoir été emprunté au lexique politique. Est-ce à défaut d’un terme plus inspiré que vous vous êtes contenté de celui-là ?

Non c’est parce que ce mot montre de façon apparente notre besoin d’autonomie, d’émancipation et d’indépendance réelle.

La ligne philosophique de cette poésie peut-elle s’accommoder avec bonheur à l’écriture ? Dans sa transmutation à l’écrit la poésie oraliste ne perd-t-elle pas sa quintessence ?

La conjecture n’a pas lieu d’être à l’instant où un auteur affirme que son texte répond à un circuit de fonctionnement donné qui est celui de l’oralité. Nous en faisons un principe éthique et esthétique. La poésie oraliste ne perd rien à s’écrire dans la mesure elle porte en son âme ces principes de l’oralité. Mais attention, le discours tambouriné est aussi un discours écrit du point de vue phonique. Nous voyons bien que c’est une question d’encodage du discours qui nécessite de nouvelles théories du langage. Cette responsabilité revient aux critiques et notre postface voulait donner des pistes.

Quel rapport peut-on établir entre le courant « indépendantiste » dont vous êtes le promoteur et l’afrocentricité dont on parle de plus en plus dans le monde noir ?

L’Afrocentricité dit : "je ramène tout à moi, je me referme sur moi". Elle est une riposte à l’Européocentrisme. La Négritude a été parfois définie dans ces contingences. Mais l’indépendantisme dit : "je m’assume désormais, que tous le sachent". En cela, il est prôné comme un courant littéraire, politique et idéologique contrairement à l’afrocentricité qui est une idéologie affective et réactive à relents narcissiques. Je ne la condamne pas mais je ne souscrits pas à ses principes. 

 Nous allons terminer cette entrevue. Parlez-nous de certains de vos projets : éditions didiga, revue didiga, le dictionnaire des mythes et légendes africains.

La revue didiga est une revue universitaire qui est à plus de dix numéros désormais. Elle est animée par les contributions scientifiques d’universitaires ivoiriens et du monde entier. Pour les Editions Didiga, nous voulons contribuer modestement à assurer l’autonomie à nos écrivains. L’esprit de l’indépendantisme nous impose de nous montrer dignes de porter notre culture. Dommage que nous n’avons pas de soutien. Mais tous les hommes politiques ne comprennent pas ces enjeux, surtout ceux qui ne jurent qu’à sortir les littéraires de leur projet d’émergence. Pour le nom « didiga », il vise à rendre hommage au Prof. Bernard Zadi. En ce qui concerne le dictionnaire des mythes et légendes ouest-africains qui est en cours, il veut répondre à la maxime "connais-toi toi-même" et donc, à la nécessité de connaitre les fondements de nos cultures. J’invite tous ceux qui veulent faire connaitre ces récits de chez eux, à nous contacter.

Interview réalisée par MACAIRE ETTY



23/01/2015
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