LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE MALHEUR DE VIVRE de N’Deye Fatou Kane : De la crise d’adolescence au drame !

 

N’Deye Fatou Kane signe son premier roman avec Le malheur de vivre, un récit pathétique axé sur les mésaventures d’une jeune fille.

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Le Malheur de vivre, de N’deye Fatou Kane, écrivaine sénégalaise, porte un titre, qui sans équivoque, nous prépare à affronter une atmosphère douloureuse. La vie serait-elle un mariage avec le malheur ? Celle de la famille Bâ  nous impose une réponse affirmative. Par la faute de sa fille Sakina, dont la naïveté n’a d’égale que son empressement à mordre à belles dents la vie, cette tranquille et laborieuse famille va connaître des moments de perturbation sans précédent. Etudiante à Paris où elle vit dans le cocon familial, elle reçoit une éducation bâtie sur des valeurs spirituelles et morales. Il a suffi cependant qu’elle rencontre Ousmane, lors de ses vacances au Sénégal, pour que tous les efforts de ses géniteurs pour lui assurer un avenir fructueux s’écroulent comme un château de cartes. Les jours qui suivent l’arrivée du jeune couple en France révèlent que derrière les apparences policées d’Ousmane, se cache une âme cynique et calculatrice. « Avec le recul et quelques années de vie commune, il (Ousmane) se rendait compte qu’il n’éprouvait aucune once d’amour pour Sakina » (p 156).

 

Sakina, la musulmane, sous l’influence nocive de son époux, entame une déchéance à tous les niveaux. L’époux intrigant abandonne l’épouse et disparaît dans la nature avec leur bébé. Emoi et désarroi de la famille Bâ. Pour Mariam, la mère de Sakina, dont l’époux a fini par décéder, il n’y a rien à faire si ce n’est de s’en remettre « au Tout-Puissant, lui qui avait décidé de lui enlever tour à tour sa fille, sa petite fille et son mari » (p163). La belle histoire commencée dans la gaieté comme une fleur s’étiole sous l’effet corrosif de l’irresponsabilité d’Ousmane.

 

 Le Malheur de vivre est un roman de mœurs qui pose l’épineuse problématique de l’éducation. Entre la rigidité et le laisser-aller, que choisir pour mettre la progéniture surtout féminine à l’abri des aventuriers de l’acabit de Ousmane ? Les parents de Sakina ont-ils échoué eux qui ont tout mis en œuvre pour donner à leur fille la double éducation moderne et traditionnelle ? Pour le narrateur c’est le destin qui décide de tout : « Des forces invisibles contrôlent le jeu à notre insu. On les appelle le destin. Ce même destin peut se révéler fort cruel, et cela Sakina ne l’a que trop bien compris » (p 14). En effet, le hiatus entre la rigidité de l’éducation reçue par Sakina et la brusquerie de ses frasques soulève des interrogations. Souvent quand le rouleau compresseur des évènements est lancé, rien ne lui résiste. En Europe, Mariam et Amadou Bâ, avaient le contrôle de la situation. Leur venue en Afrique pour se ressourcer leur ouvre les portes d’un drame familial. Entre la frivolité de Sakina et la facilité avec laquelle Ousmane a trompé toute la famille, le lecteur ne sait sur qui déverser sa colère.

 

Ce roman n’est pas sans nous faire penser à Une Vie de Maupassant et Maimouna d’Aboulaye Sadji. Sortie du couvent où elle avait reçu une éducation religieuse stricte, Jeanne s’est laissé brûler les ailes par Julien. Maimouna, la villageoise, éduquée selon les valeurs africaines traditionnelles, arrivée en ville, se perd dans le flots de paroles de Doudou le séducteur. Les crises liées à l’étape de l’adolescence brouillent souvent la vue. Entre le rêve et la réalité, l’amour et son ombre, il y a un abîme. Ndèye Fatou Kane en déroulant ce récit pathétique, surfant sur le couple éducation-amour, nous offre un roman grave et profond.

 

Les titres des chapitres trop parlants aident certes le lecteur à progresser dans la trame narrative ; mais ils ont l’inconvénient de lui priver du plaisir du suspens et du jeu de l’imagination qui permettent de participer à la réécriture du roman.

La langue de l’auteure quant à elle est accessible. Le roman ne présente ni un lexique recherché ni une syntaxe complexe. Les termes africains - wolof ou pular-  assurent l’africanité de son style.

 

La préface du roman de N’Deye Fatou Kane Le Malheur de vivre a été signée par l’immense Cheik Hamidou Kane, l’auteur de L’aventure ambiguë. Un tel privilège - véritable sceau de crédibilité - ne saurait être sans risques. Tout lecteur de Le Malheur de Vivre s’attend à découvrir des « pépites » susceptibles d’étancher sa soif esthétique. Tel est l’honneur mais aussi le « malheur » de N’Deye Fatou Kane. Ainsi la critique ne saurait passer sous silence quelques violations du bon usage embusquées sous le voile de l’émouvante histoire de Sakina. L’usage du mode  subjonctif  est erroné dans la phrase : « après qu’elle eût promis revenir le lendemain… » (p 68). La locution conjonctive « après que » appelle toujours l’indicatif et non le subjonctif. De même, les groupes de mots « Voire même de rêveur » (p74), « Si cela s’avère être vrai » (p 41) mettent en relief deux malheureux pléonasmes.

 

Heureusement que ces menus manquements ne tuent  pas le plaisir de la lecture du livre de N’deye Fatou Kane. Le Malheur de Vivre tire sa beauté de la profondeur  de sa thématique et de l’africanité de son écriture.

 

Etty Macaire

N’deye Fatou Kane, Le Malheur de vivre, L’harmattan, 2014  

 

 In Le Nouveau Courrier du 20 février 2015

 



21/02/2015
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