LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

CATAPILA, CHEF DU VILLAGE de VENANCE KONAN /Une plaidoirie pour que prennent fin l’exclusion et la xénophobie

 

Venance Konan sur un ton empreint de sarcasme revisite la crise ivoirienne

 

 

 CATAPILA.jpg

 

« Catapila, chef du village » - après « Ces Catapilas, ces ingrats » et « Robert et les Catapilas » - est un roman qui vient boucler la trilogie de Venance Konan, sur la série des Catapilas. Ces trois œuvres romanesques sont reliées par des personnages comme Robert dont les frasques nous renvoient l’image de l’opportunisme et l’esprit de lucre des politiciens des « temps qui tanguent » (B. Zadi). Mais du premier  au troisième roman, le personnage de Robert a fait sa mue. Son évolution psychologique – très bien réussie-  montre clairement que, l’être humain, même le plus barbare, éclairé par la raison peut donner le trésor enfoui en lui. Cette mutation du personnage met en nu l’optimisme de l’écrivain qui croit qu’avec une bonne pédagogie, on peut faire changer les hommes positivement.

 

Dans un village imaginaire, la cohabitation entre les autochtones et les étrangers est marquée par des frictions et autres brouilleries. Voilà qu’à la mort du chef du village, au moment de l’élection du nouveau, un Catapilla ose aspirer à cette fonction administrative et stratégique. Quelle outrecuidance ! s’écrient les propriétaires terriens. Opposé à cette perspective, Robert finit par se laisser convaincre que ces élections pour désigner le nouveau chef du village sont ouvertes à tous, fils du village ou d’immigrés. S’engagent alors des joutes verbales et des campagnes de dénigrement jusqu’au dénouement de l’intrigue avec l’élection du Catapilla candidat.

 

A la lecture de ce roman plein d’humour, on a du mal à établir une frontière entre la fiction et la réalité, tant l’histoire qui s’y déploie épouse les contours de celle de la Côte d’Ivoire de ces dernières années, ponctuée par les cris de rage, des discours mensongers et des falsifications historiques des idéologues des temps nouveaux. Le village de Robert où a lieu le drame est un microcosme symbolisant notre pays en proie à toutes sortes les convulsions. A travers les personnages de Robert, Gédéon, Prudence, Nicéphore, l’Imam, le féticheur, les Catapillas etc. défilent les ombres des acteurs politiques de notre pays.

 

D’où la crise de succession prend-t-elle sa source ? Quelle est la véritable cause de la division de la nation ? Un Catapilla (fils d’immigré) a-t-il le droit d’aspirer à gouverner le village qui l’a accueilli ? Les nationaux ont-ils le droit d’exclure les Catapillas des actions qui engagent l’avenir de tout le peuple ? Telles sont les problématiques qui, au fil des pages, se posent au lecteur. Venance Konan, en tant que journaliste, a su exploiter tous les grands thèmes qui, durant des années, ont volé la vedette au défi du développement : exclusion, xénophobie, crise identitaire, conflits fonciers, pouvoir politique, puissance économique… Les grands discours des idéologues et autres pseudo-politologues émaillent les lignes de ce roman de façon régulière. « Notre réalité est que les Catapillas font partie de notre population depuis longtemps. Ils sont aujourd’hui aussi nombreux que nous, voire plus nombreux que nous dans nos villages. Eux et nous sommes devenus comme les doigts d’une main…Et c’est être irresponsable que de vouloir exclure la moitié de sa population du jeu politique ou économique » lit-on à la page 132.  Une autre thèse bien connue des Ivoiriens se celle-ci : « il faut que le président sache que les voleurs de terre veulent aussi nous voler notre chefferie et notre dignité et il faut que l’on inscrive dans la loi…que seuls les authentiques autochtones nés de père et de mère eux-mêmes doivent diriger leurs village.» (p 121-122).

S’il est clair que Venance Konan revisite la crise ivoirienne sur le mode d’une fiction romanesque, on peut lui reprocher la grande visibilité des thèses qui sont les siennes. En d’autres termes, ce roman pèche par son trop grand réalisme. L’affabulation ou même l’allégorisation qui permettent de pousser le lecteur plus loin dans ses réflexions ne sont évidemment pas les points forts de ce roman. Le journaliste, historien du présent, semble avoir pris le pas sur le créateur.

Du point de vue de la forme, le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire est resté fidèle au sarcasme et au persiflage qui font la particularité de son style. Souvent avec un humour déconcertant, il met à nu des problèmes graves et sérieux. La langue quant à elle se veut simple et dépouillée. Mais il lui arrive souvent d’épouser le registre grossier. « C’est servir Dieu que de baiser les petites filles »(p32), « Robert, j’ai mal au cul » (P94) « aller montrer son sexe aux petites filles » (p107) « ce désir enfla le sexe de Roobert » (p110). L’allusion récurrente au sexe est certes cocasse mais donne à s’interroger. Face à un monde qui s’effondre, le recours à ce style choquant n’est pas innocent. Il faut souvent choquer pour réveiller les valeurs morales endormies à l’épreuve des crises.

 

Macaire Etty

 

Catapilas chef du village (Venance Konan) frat mat édtions, Roman , 2014

 

 In Fraternité Matin du samedi 22 novembre 2014



01/12/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 31 autres membres