LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

"Le mariage de Lagaré" de Moussa Sanogo: « De l’or au bronze, une reculade »


Un printemps en arrière, à travers l'extraordinaire "Terre brûlée" où drame et poésie sont enchâssés ingénieusement, Moussa Sanogo avait tonné dans le champ littéraire ivoirien. Alors que les lampions de 2014 s'éteignaient, cette tragédie aux encens césairiens a fait le lit d'une autre pièce théâtrale. "Le mariage de Lagaré". Une comédie dans la pure tradition moliéresque: célébrer burlesque et coup de théâtre.


LE MARIAGE DE LAGARE.jpg

Odiénékourani, un quartier populeux de Bouaké. Chez les Barro, une perle luit de beauté et son éclat éblouit. Les cœurs de Djakis, Moriféré, Tiémogodjan et bien d'autres hommes sont sous l'emprise de Lagaré. Chargé de gérer la liste des prétendants, le vieil imam Kalamogoba élimine tous les soupirants pour se mettre en selle. Alors que l'adjoint doit "attacher le mariage" du guide religieux et Lagaré, coup de théâtre. La jeune fille éconduit le bouffon futé et grincheux qui tombe dans les pommes au grand bonheur de l'assistance. Pourtant, son père piaffe de la voir mariée pour s’ouvrir la voie du hadj. Qui décrochera la timbale?
Lagaré respire la jouvence et la beauté; elle est convoitée et croule sous les intentions en mariage. Elève, la jeune fille est issue d'une modeste famille musulmane engoncée dans des pratiques qui s'enracinent dans des traditions parfois obscures. Très souvent, ces considérations sont enrobées dans l'hypocrite velours religieux. Une conspiration ourdie contre les femmes africaines.
Le mariage forcé et les religions mal comprises affectent la vie socio-culturelle sous nos tropiques. La pièce de Sanogo enseigne que l'émancipation des esprits et de la pensée n'est guère un événement. Elle reste plutôt un long chemin dont le pari se dresse au cœur de l'éducation. On le voit, cette schizophrénie culturo-religieuse s'évertue à pérenniser l'ordre ancien sous les coups de boutoir des soleils nouveaux. A l'opposé du verset coranique qui exhorte tout musulman à aller vers la connaissance, l'imam d'Odiénékourani, lui, adepte de l'obscurantisme, est hermétique à l'école qu'il considère comme un lieu de perdition pour les filles. « Ah l'école! Vous êtes vraiment têtus vous qui vous entêtez à envoyer vos filles se gaspiller dans des aventures scolaires... » (p.29), pérore-t-il.
L'imam se noie dans l'ivresse et le précipice du vice et de la bouffonnerie, à « la clairière (…), lieu de tous les commérages » (p.89) et dans le temple de Dieu. Cette bassesse rime mal avec son statut. Kalamogoba patauge dans le burlesque. Du Scaron dans son Virgile travesti.
Quant à son substitut, en s'appuyant sur les « quatre conditions pour qu'un mariage soit attaché » (p.108), il symbolise le modèle, la lumière dont les populations ont besoin de s'inspirer. D'où l'aspect didactique de l'œuvre. Et comme le dit Liking dans "La mémoire amputée", « l'être devient ce qu'il apprend ». L’Africains doit apprendre pour faire sa mue.
Ce jet est un courant d'air frais pour débusquer le débat. La scolarisation des filles, la pratique de l'islam en Afrique, les turpitudes de certains imams qui prostituent le message divin, la polygamie, le mariage forcé, l'exercice de la liberté et la gérontocratie sont autant de thèmes qu'explore le dramaturge.
Ce livre est le procès de nos pesanteurs, le poids des traditions, le despotisme des anciens, puis les alizés des soleils nouveaux et la douce révolte de la jeunesse. Les abysses où la tradition s'évertue à maintenir l'Afrique sont des verrous sur la route du progrès. Les jeunes scrutent des horizons dévoilés par d'autres formes de savoir. Ce sujet est celui des pères et des fils. Comme dans "Sous l'orage" de Badian. Le triste dessein brutal est d'assujettir les jeunes qu'on juge inaptes à décider. L’emprise de la société impose "l'ordre du désordre". Heureusement que des derniers Mohicans tel Daouda sont sur le sentier du progrès: « Ne peuvent-elles pas être mariées et poursuivre leurs études? Ce sera une condition pour prétendre à la main de Lagaré » (p.30), dit-il.
Au cœur des cinq tableaux, l'écriture-miel de Kourouma flâne royalement dans cette comédie teintée de "malinkécismes" et d’interférences linguistiques. Toutes ces fraises poétiques sont ponctuées de sublimes tirades. « Tu as un honneur/ (...) il n'y a pas femme sans honneur/Il n'y a pas d'honneur sans pudeur/Et le grenier de la pudeur se trouve à Kong! » (p.104), chante Djéliba. Et la matrone d'ajouter vertement: « Arrêtez vos oreilles.../Les habits sont faits de fil/Les maisons sont faites de sable/Mais les mâles sont faits d'ingratitude » (p.107). Propos de troubadours lucides et adroits.

"Le mariage de Lagaré" est un exercice riche en symboles que le collier de fautes et d’autres errements ont failli flétrir. Comparée à "Terre brûlée" où le temps de l'Epiphanie claironnait déjà, on peut penser que pour cette nouvelle moisson, Sanogo est resté à quai.

Soilé Cheick Amidou

"Le mariage de Lagaré", Moussa Sanogo, éd. Livre monde, 124p



30/01/2015
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 31 autres membres