LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

Communication: Présentation de « Dunes d’or »(1) de Jean Valère Djezou

Par Macaire Etty

28 août 2014

Fondation Fotê Memel 

 

Monsieur le parrain,

Monsieur le président de l’Aeci,

Monsieur l’éditeur

Amis du livre,

Mesdames et messieurs,

 

Nous voici, cet après-midi, au rituel de la présentation ou encore du baptême d’un bébé. L’honneur me revient de le présenter. Ce bébé, fruit des veilles d’un créateur, est un texte littéraire car son géniteur est un écrivain. Ce bébé est une belle parole car son père et sa mère sont un poète. Ce bébé conçu en 2009 dans la forge d’un démiurge prénommé et nommé Jean Valère Djezou, va pousser le cri de sa vie terrestre en 2012. Il a, aujourd'hui, plus de 2 ans.

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Le nom à lui donné par son concepteur n’est pas un nom vain, ni une appellation innocente ou fantaisiste. Dans notre fratrie, comme vous le savez, le nom a un sens et une histoire. Le bébé, ou si vous voulez, le livre de Jean Valère Djezou répond au nom de « Dunes D’Or ». Une « Dune », phénomène naturel, résulte d’un processus complexe dû aux forces du vent et de l’eau. Elle est fille de l’énergie éolienne et hydraulique qui l’édifie, la construit, la dessine, l’écrit dans les zones où le sable est abondant.

Les Dunes ce sont bien les poèmes de Djezou. Ces poèmes ont été forgés par les écueils et les épreuves qui ont émaillé sa vie de quêteur de lumières. Si ces dunes, que dis-je, ces poèmes, sont d’or c’est parce que, tel l’or brute, ils ont subi l’épreuve du feu. Le feu ici étant une métaphore d’une vie percutée et tourmentée. Le poème, cet enfant sublime, naît, le plus souvent, sur le terreau des larmes et des souffrances. Parlant du poète, Théophile Gautier écrivait :

« Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d'or ! »(2)

 « Dunes D’Or » est donc l’aboutissement d’un chemin tortueux et arpenté. L’ouvrage marque ainsi une renaissance, une chance, une promesse.

« Dunes d’Or » de J. V Djezou, s’ouvre sur une dédicace et un avant-propos. L’œuvre a été écrite, selon le poème dédicatoire, à l’honneur de trois entités : Dieu, les hommes de lumières et les combattants de la liberté. Ces trois entités correspondent à trois valeurs chères au poète : la spiritualité, l’amour et la liberté. Ces valeurs renvoient aux trois facettes de la personnalité de notre auteur : l’homme de foi, l’humaniste et le militant des droits du bien-être humain.

Cette œuvre poétique, le bébé des veilles de notre artiste, répond à une  organisation qui tient en 4 parties.

-La première partie intitulée « Conviction de croix » est constituée de 6 poèmes. Elle révèle la vocation que Djezou assigne au poète et sa foi en l’homme.

-La deuxième partie est intitulée « Leurre des lumières ». Elle est longue de 18 poèmes. L’oxymore dans ce titre témoigne de ce que les poèmes de cette séquence, à l’image de la vie, alternent ombres et lueurs. « Leurre des lumières » annonce également l’heure de la vérité.

-La troisième partie, « Marathon d’amour », est bâtie autour de 14 poèmes. Ces textes nous plongent dans le sublime et délicat univers de l’amour. 

- La quatrième partie, enfin, « Cœur à chœur », regroupe seulement quatre textes. Les deux premiers textes sont des poèmes en prose et les deux derniers en vers. Différents par la forme, ils vibrent tous de la musicalité des mots. Ils sont peut-être destinés à être chantés.

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Je dirai donc que « Dunes d’Or » est un univers poétique qui tient débout sur quatre piliers. C’est une cathédrale de mots psalmodiant  l’apostolat du poète, le drame de l’homme, et les turpitudes de l’Afrique. De cette cathédrale, l’initié entendra des voix où s’entremêlent cris de rage, grincements de dent, soupirs et chant du rossignol.

L’œuvre oscille, en effet, entre diverses tonalités : tonalité didactique, tonalité satirique et tonalité lyrique.

Je l’ai dit plus haut, l’enfant pour qui la fratrie s’est réunie a pour père et mère un poète. C’est pour cela à l’instar de ses devanciers tel Victor Hugo dans son poème « Fonction du poète » (3), Djezou nous éclaire sur la mission qu’il assigne au poète, incarné ici par « Le rêveur » du poème éponyme. Malgré « l’invisible fardeau » qui l’écrase, le poète ne doit pas se détourner de son sacerdoce. Ecoutez frère, écoutez sœurs ce que dit le barde :

« Le rêveur sait ce qu’il voit/Et son prix ne le vainc pas/Sait que son projet a du prix/Mais aussi qu’il gagnera le prix (P21).

Quelle foi ! Quel noble apostolat ! Le sacerdoce du poète repose sur sa mission de guetteur, de veilleur et d’éveilleur.  Tel Zakwato, il doit s’arracher les paupières, au nom du peuple, pour ne pas s’endormir. Mais que vaut un tel sacerdoce sans liberté ? Le poète Djezou en est conscient. Aussi propose-t-il le rejet « du papier quadrillé » ou  « papier glacé », métaphores du cadastre et des chaînes. (Cf : papier libre). Sa plume comme un cor pousse un long ténor pour que soient entendus les injustices et les abus qui couvrent l’existence d’amertume et de brume.

« Toujours les grands/ Qui créent la fracture/Toujours les petits/ qui paient la facture/ Toujours les grands/ qui se la coulent/ toujours les petits /qui coulent /toujours les grands / qui butent /toujours les petits / qui culbutent » (p29-Le petit sage).

 

Les poèmes comme « loubard balourd » (p34) , « Le Conseil des Sinistres », (page 37 ), vibrent du drame quotidien que connait le petit peuple, malmené, manipulé et spolié. Poète de raison, Djezou est aussi un poète de cœur. Poète au sens originel du mot, il dit ses quatre vérités de façon mélodieuse.

Oui, précieux hôtes, au cœur des cris de douleurs et de colère du poète, s’élève une belle mélodie aux vertus balsamiques. Djezou écrit en criant, Djezou écrit en chantant. Sa plume tranchante et acérée, sait se muer en lyre quand il le faut.

Dans ce livre, poésie et musique, sont les facettes d’une même réalité. Comment, en effet,  lire « Dunes d’Or » de Jean Valère Djezou sans percevoir la musique qui coule dans chacun de ses vers ? Me viennent à l’esprit ces mots de L. S. Senghor : « Je persiste à penser que le poème n'est accompli que s’il se fait chant, parole et musique en même temps »(4).

La poésie Djezoulienne est caractérisée par la récurrence des sonorités, le jeu des  assonances et des allitérations et l’omniprésence des rimes.

Ecoutons ensemble ces mots qui se répondent, écoutons ensemble ce chant mélodieux :

« Si tu crains ce loubard/ Si tu crains ce guépard/ Têtu comme un cafard/Survit au brouillard/ Et que le débrouillard/ S’il n’est pas brouillard/ s’il n’est pas braillard/Devant son gaillard/ et s’éloigne du fêtard/ même s’il se fait tard/ même s’il est bâtard/ descendra du brancard / pour faucher le brocard/ inhumer son bobard /s’il brise le fard/ le fard du hasard » (p36-Loubard balourd)

L’âme du poète est profondément  imprégnée de musique. Notre barde est sensible aux rythmes, aux mélodies et aux harmonies. Le chantre qu’il est habite chacun des vers de ce recueil. 

La rime chez Djezou vient naturellement sans effort. Elle est la manifestation sonore de cette musique qui dort dans son être abyssal.

Lors d’une interview, à notre question de savoir, pourquoi rechercher la rime coûte que coûte, le poète répond : «  Je suis en réalité chanteur à la base... Alors, je me dis que la musique est peut-être tellement forte en moi que mes paroles s’y mêlent facilement. Et finalement, je crois bien que je chante plus que je ne parle et que c’est l’écho profond de cette musique intérieure qui m’a naturellement attaché à l’arbre suave de cette poésie qui rame avec les rimes. Je ne cherche donc pas aveuglément les rimes et les complicités sonores entre les mots.  Mais il faut le dire, j’aime les mots qui se font écho ! »  (5)

Le poète, dans la tradition orphique n’est-il pas un aède ? Chez les Grecs, la musique était consubstantielle à la poésie. Chez les Romains, autant le choix des mots était important autant le choix des sons et des rythmes l’était aussi. En Afrique également le poète et le musicien sont indissociables. C’est d’ailleurs le même mot qui les définit. Qui douterait que Balla Fasséké, Gbaza Madou Didéro, Bernard Zadi, Gnaoré Jimmy étaient à la fois poètes et musiciens ?

Ainsi, aède, Jean Valère Djezou l’est véritablement. Le diplômé en stylistique qu’il est, sait exploiter toutes les ressources du langage pour rendre son message plus frappant et plus éloquent. Bien que digne disciple de Bernard Zadi et de Jean Marie Adiaffi, notre poète ouvre ses oreilles à toutes les sublimes mélodies d’ici et d’ailleurs. De la France, lui viennent aussi des maîtres. Ainsi, je ne saurai terminer cette présentation sans évoquer le phénomène de l’intertextualité dans ce livre. Certains des poèmes de Djezou font échos à des textes de Hugo ou de Baudelaire ou même de Zadi et Adiaffi. Dans le poème « Le rêveur », le lecteur attentif humera bien les effluves des poèmes comme « le vin des chiffonniers » de Baudelaire ou « Demain dès l’aube » de Hugo.

  Pour nous, il n’y a rien de plus normal pour un créateur comme Djezou qui a goulûment sucé,  durant des années, en tant qu’apprenant, aux mamelles généreuses de ces montres sacrés de la parole poétique.

D’ailleurs, selon Philippe Sollers, « tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur. »(6) Julia Kristeva, la grande théoricienne de l’intertextualité, d’ajouter : «Tout texte est absorption et transformation d’un autre texte » (7)

 

Illustres hôtes, membres de notre fratrie, permettez-moi de conclure cette présentation. Le bébé n’est pas seulement beau, il est complexe. Il est une mine d’or que vous aurez le temps de découvrir et d’exploiter. Je vous le garantis. « Dunes D’Or », le  recueil poétique de J. V. Djezou, est le point de convergence de la beauté pure et de la parole engagée. Il réussit le pari d’être à la fois un instrument et un ornement, un cri et un chant. En lisant, que dis-je, en écoutant « Dunes d’Or », nous nous rendons compte, au-delà des querelles d’école, qu’il y a une forme de l’engagement esthétique par laquelle le créateur, même dans sa mission d’enchanteur, de flûte qui parle à l’âme, prend conscience des déflagrations et des déchirures de son temps et de son espace et défend des valeurs éternelles. Oui, amis des mots et du sens, en plus de la beauté qui coule dans les veines de ses vers, il faut reconnaitre l’utilité de cette poésie dans la mesure où elle est humaine et ouvre les portes de sa tour d’ivoire au peuple.

J’ai finis ma tâche. Membres de notre fratrie, voici l’enfant. Je le laisse entre vos mains.  Il dépend de vous qu’il vive, il dépend de vous qu’il brille, il dépend de vous qu’il éclabousse le monde de ses richesses.

Je vous remercie

 

Notes :

  1. J. V. Djezou, Dune D’or, L’Harmattan CI, Poésie, 2012
  2. 2.      Théophile Gautier (1811-1872), Espana
  3. V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, 1840
  4. L. S. Senghor, Postface, Ethiopiques, poésie, 1945
  5. 5.      Le Nouveau Courrier du vendredi 22 février 2013, p 5-6
  6. Ph. SOLLERS, « Écriture et révolution », Tel Quel. Théorie d'ensemble, Le Seuil, 1968 ; rééd. coll. « Points », p. 75
  7. Kristeva, J. (1969b), « Le mot, le dialogue et le roman », Semeiotike : recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969, p. 82-112.

 

 

 

 



01/09/2014
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