LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

Le Fils-de-la-Femme-mâle de Maurice Bandaman : symbolisation et idéalisation du libérateur

La vision messianique du leader politique chez Maurice Bandaman

 

Sur l’écriture novatrice et audacieuse de Le Fils-de-la-Femme-mâle de Maurice Bandaman, de nombreuses lectures ont été proposées. Pourtant du point de vue du fond, ce roman offre encore des pistes inexploitées. Le Fils de la Femme-mâle - on ne le dit pas assez - est une œuvre de haute portée politique. Maurice Bandaman y dresse à travers le parcours de son héros Tankan Awlimba, sa vision du leader politique ou du moins du libérateur.

le fils de la femme male.jpg

Le titre de l’ouvrage, « Le Fils de la Femme-Mâle », est un oxymoron qui renvoie au caractère insolite du personnage principal, Tankan Awlimba. Rejeton de « Bla Yassoua (femme-mâle), une hermaphrodite et d’un géniteur également hermaphrodite,  il est une créature surnaturelle bénéficiant des qualités à la fois femelles et mâles. Dans la mythologie grecque, le personnage de Hermaphrodite, enfant d’Hermès et d’Aphrodite, réussit le mystère de la fusion du dieu de la science initiatique et de la déesse de la beauté. Il réunit la connaissance sacrée et le mystère de l’amour. A partir de ce qui précède, on retient que le leader politique, selon Bandaman, à l’image de son héros, doit être une fusion des qualités femelles et mâles.

Exceptionnel, Tankan Awlimba l’est aussi par sa naissance mystérieuse. Le bébé qu’il est  « surgit du sexe de son père » (p 25). Divers facteurs militent en faveur de sa prédestination. Sa naissance précède la mort de son père. En Afrique, un enfant dont la naissance coïncide avec la mort de sa génitrice ou son géniteur est classé dans la catégorie des « sorciers », c’est-à-dire, des êtres dotés de pouvoirs surnaturels. Tankan par sa naissance est donc un « sorcier ». Dans la vision de Bandaman, le libérateur tient sa mission de Dieu.

La mission de Tankan est de changer le monde. Pour son instruction, il refuse l’école classique et se met à celle de sept animaux (le chien, le bélier, le coq, le porc, le caméléon, l’éléphant, la pie). Ces animaux symboliques incarnent les valeurs morales utiles au dirigeant politique. Le parcours de Tankan Awlimba, au vu de son apprentissage ésotérique, prend l’allure d’un parcours initiatique. Comme Hamadi, le héros de Hampaté Bâ, dans Kaïdara.

Tankan, repu d’enseignements, nous apparaît comme l’image de l’homme accompli, de l’authentique initié capable de conduire le monde vers un avenir radieux. Le leader idéal, le libérateur doit être bien formé. Il ne doit pas seulement être instruit aux savoirs formels et académiques classiques, mais aux secrets de la vie, aux mystères de l’existence. Il doit être forgé par les épreuves de la vie et les convulsions de l’histoire.

Awlimba Tankan tout au long du récit connait trois réincarnations. Chaque fois qu’il naît ou renaît, l’ancienne créature meurt en passant le relai à une nouvelle créature, elle aussi hermaphrodite. Ainsi Tankan, connait trois naissances et donc trois vies. Le troisième et dernier Tankan, aboutissement achevé des premiers, est celui-là même qui réussit à mettre fin au règne d’un terrible dictateur. Il instaure un climat de paix et de liberté pour le bonheur du peuple longtemps martyrisé. « Il savait protéger les orphelins, les agneaux et punir les loups. Ill possédait la magie d’infuser le sang du courage dans les veines des paresseux » (p 171). Par ce passe-passe entre la vie et la mort, par ces différentes réincarnations, l’artiste Bandaman révèle la nécessaire mutation que doit subir la conscience de l’homme politique appelé à devenir un libérateur. Nous comprenons la charge sémantique de cette phrase métaphorique: « et l’arbuste poussa sur la racine de l’arbre et devint plus grand » (p 105). Chaque mort appelle une naissance. La graine sous la terre doit mourir pour donner naissance à une nouvelle plante. Tout libérateur doit être capable de « mourir » c’est-à-dire de se sacrifier pour son peuple. Le sacrifice ici est le prologue d’une « nouvelle naissance ».  Et le narrateur de dire : « Les bons choix, les choix porteurs de l’eau qui étanche les soifs communes conduisent presque toujours leurs auteurs à la mort. Et je crois plus aux choix pour lesquels l’homme laisse sa propre peau qu’à ceux dans lesquels l’homme laisse la peau d’autrui. Mais l’histoire n’a pas la mémoire naine : elle exhume toujours les hommes et les femmes qui sont morts pour son triomphe et son prestige » (p25).

En somme, Maurice Bandaman par cette œuvre surprenante, expose sa vision de l’homme politique idéal, celui dont la mission est de libérer le peuple de la tyrannie et de l’injustice. En symbolisant le libérateur, en idéalisant l’image du leader politique, l’écrivain exprime sa soif d’un monde de justice et de paix. Cette vision messianique cependant ne s’oppose pas-t-elle pas à l’idéal démocratique qui donne le pouvoir et la liberté au peuple de choisir son chef ?

 

Macaire Etty

Maurice Bandaman, Le Fils de la Femme-mâle, Frat Mat éditions, 2014

 

In Fraternité Matin du Samedi 19 septembre 2014

 

 



24/09/2014
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 31 autres membres