LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

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« LA POUSIERE PRIE SUR UNE TOMBE DU FOUTA » de GUY AMOU : LA FRANCE, ET CES SIECLES A GENOUX !

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La tragédie africaine fait partie des boulimies à vendre et des mises en scènes dramaturgiques que l’actualité réveille continuellement quand elle veut. Des calamités naturelles aux grands défis des pouvoirs jusqu’à l’étranglement d’une « certaine espèce », le continent africain fait don de sa propre histoire. Trouble de mémoire ? Refus d’exposition ? Tabous de l’Histoire ? Etouffement de la mémoire collective ?  Les taches brunes des génocides et le kilométrage des mensonges se multiplient sur les cartes. Aucune paix civile depuis les indépendances. Et la France ne passe pas pour l’assistant aux idées d’or ! Car ses actions manichéennes, comme celles des occidentaux, ont posé une « poussière (qui) prie sur une tombe du Fouta ». Voici comment, les yeux aux pieds, les larmes le long de ses mains, Guy V. Amou déclenche ses premières notes de « chant » dans cette pièce de théâtre. Quel régal ! 253 pages de questionnements à la puissance de température soleil, des colonnes d’humour révoltant à jambes écarts, cette gamme d’injures commerciales que les colons vendaient bien, et cette autre couleur de la vie où courage et combat s’embrassent et dinent ensemble…

La région du Fouta est devenue très vite l’ordre d’une série de catastrophes. Pourtant son histoire séculaire est particulièrement riche : des densités humaines impressionnantes, un potentiel agro-pastoral remarquable, une inventivité politique et religieuse étonnante. Le regard européen qui se porte sur elle depuis la fin du XVIIIème siècle, fasciné au premier abord par la civilisation qu’il découvrait en plein cœur du continent, n’a pas tardé à piéger ces peuples africains dans ses calculs et fantasmes. Il fallait conserver cette réserve humaine dans un ordre féodal, qui convenait apparemment si bien à la vision raciale de l’histoire dans laquelle se complaisait la pensée coloniale. Ce qu’on appelle aujourd'hui « la poussière du Fouta Tooro », avec ses haines à pompe fonctionnant en boucle, s’est forgée dans ce contact, où acteurs étrangers et locaux portent des responsabilités spécifiques.

Tout a commencé là, dans cette petite partie du Sénégal. Un homme, un seul, l’Almami Abdoul Kader, a voulu opprimer la procrastination, asphyxier la bâtardise coloniale, regrouper des peuples pour gagner un combat culturel et garder son identité originale, changer les devoirs pour une paix durable et un développement économique noyé dans le travail, l’effort et la raison. Foutaise ! Il faut compter avec le gouverneur Blanchot et le pantin de Lamiral pour guillotiner ces nouvelles lois perçues comme une offense. « L’Afrique doit dormir au chevet de la France. Il n’y a aucun calcul à faire : régner même à l’arme et défaire la raison ! Il faut un bon poison à l’orgueil pour le transformer en témérité. » Ils usent alors de toute malice comme de bons voleurs. Le Damel du Cayor, le prince Amari Ngone Ndella est tout de suite aperçu comme le poison de luxe. Ils le font ennemi juré de l’Almami Abdoul Kader. Ils le pistent et l’enveloppent de fines lames à destruction massive. Pendant ce temps, la prise de conscience est lente. Le peuple encanaille les nouvelles lois du Roi tout-puissant, du guerrier des lacs, du premier Almami de la région du Fouta. De la réforme administrative à la gestion du pouvoir par un élu au suffrage universel, de la chute des démagogues à l’instauration de la religion dans les mœurs, le Roi et ses lois deviennent des plats de moelle. Le changement est dit « brutal » et donc mal apprécié.

Et de l’autre côté, le gouverneur et son équipe font le printemps  et le soleil des caraïbes. L’Almami est combattu et capturé par le prince du Cayor. Complot, barbouze, compromission, retro commission, dessous de table et pot de vin filent le long du lac. La plaie est profonde. Le mal sort de sa loge et ricane violemment. Le tout-puissant Abdoul Kader n’est plus rien sauf le chiffon qu’on va trainer et l’objet d’échange qu’on va garder secrètement. Pourtant, l’Almami pleure et regarde « LA POUSSIERE QUI PRIE SUR UNE TOMBE DU FOUTA »       

 

Les forces de la pièce

Elles résultent de la simplicité de l’œuvre, de la dialectique délicieusement bien manœuvrée et de la puissance de cette histoire qui coule sans cambrage. Des faits qu’on sort, qu’on ressort du sac, l’Afrique qui veut se lever et ces mains qui la nouent, ce dos taillé pour lequel il faut s’indigner et trancher ou observer pour tracer les sillons d’un lendemain meilleur, cette France qu’il faut saluer ou écorcher… Il y a certes du tort incurvé dans l’Histoire c’est pourquoi il faut aller à la rencontre de la vérité avec les yeux et les oreilles, mais ne pas tarder car l’avenir nous attend pour diner.

Aucune œuvre humaine ne peut se targuer d’être au summum de la critique. Quoiqu’elle fût belle ! « La poussière prie sur une tombe du Fouta » est une réussite au plan littéraire et historique. C’est une œuvre majeure qu’il faut enseigner à l’Afrique, non pas seulement aux Africains, mais à tous ceux qui sculptent le continent le plus pauvre du monde. De la poéticité ! L’auteur l’a lancé à la première de couverture (« LA POUSSIERE PRIE SUR UNE TOMBE DU FOUTA »), en prologue et épilogue (à travers le griot, narrateur de l’œuvre) mais a vite relâché. Les propos du griot au fur et à mesure deviennent plats, comme les paroles d’une personne ordinaire.

La structuration de la pièce de théâtre sort des classiques. Peut-être parce que l’auteur s’est de plus en plus laissé habiter par l’histoire qu’à son contenu. 

L’espoir, c’est le maître mot qui donne la lumière à cette œuvre grandiose, cette pièce monumentale et ces personnages bien construits. Nous sommes sur la stèle de l’Afrique, et là-bas, le reflet de notre propre ombre, avec ses partenaires mafieux qu’on adore pourtant…    

 

Manchini Defela

 



11/12/2014
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