LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE 2

« Les Matins Orphelins » de Foua Ernest de Saint Sauveur : Entre récit sentimental et méditation philosophique !

 

Le charme du roman réside dans sa capacité de contenir, par un enchâssement harmonieux,  toutes formes littéraires. Les dialogues notamment en plus de leurs effets dramatiques donnent l’occasion au créateur de déployer multiple réflexions sur divers sujets. C’est cette approche du roman que Foua Ernest de saint Sauveur réussit dans son œuvre Les Matins Orphelins.

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Cette fiction repose sur une histoire d’amour ambigüe entre deux jeunes personnes. Après avoir épousé la dahoméenne Lorenza, David, le félicien se sent rapidement à l’étroit. Il se rend compte que son épouse ne peut combler ses rêves, ses ambitions, sa soif de liberté. Une aventure avec une Blanche prénommée Catherine lui ouvre les yeux sur ce qui manquait à son bonheur. Malgré les enfants nés de son union avec Lorenza, il la quitte pour s’envoler sur la Côte d’Azur avec sa maîtresse. Commencent alors pour la belle dahoméenne des jours aux goûts amers, des aubes âcres, des matins orphelins. Là bas en France, après des mois d’insouciance et de joies, Marie-Catherine perd la vie suite à un accident. Les jours qui s’ensuivent mettent David aux prises avec sa conscience tourmentée. Déprimé et au bord du suicide, il envisage un retour au bercail en vue de renouer avec Lorenza et ses enfants. L’amour de Lorenza pour David suffit-il pour lui faire oublier le passé ? Lorenza n’a-t-elle pas refait, entre temps, sa vie avec un autre homme ? Une histoire palpitante et délicate qui nous fait découvrir la complexité du cœur humain avec en toile de fond une confrontation entre le cœur et la raison, entre les intérêts mesquins et les sentiments sincères et profonds. Foua Ernest, comme un ausculteur rigoureux inspecte l’âme humaine et ses convulsions. Il met à nu les névroses, les frustrations, les volte-face, les fuites en avant qui caractérisent les rapports entre les humains. Les personnages, au bord de la folie, se révèlent comme des êtres fragiles, aux destins précaires.

Mais comme chez tous les bons écrivains, la fiction romanesque n’est qu’un prétexte pour poser des problèmes graves qui minent la conscience humaine et défient la raison. Pour toutes les questions qu’il soulève, Foua pousse le décryptage jusque dans ses profondeurs inexplorées. Les empoignades verbales entre les personnages donnent lieu à des réflexions riches et variées. Les personnages comme Le Mage, Andréa, Rémy Barou et tonton Basile, sont des sortes de philosophes, de dialecticiens, des penseurs redoutables, des intellectuels libérés du conformisme et autres lieux communs qui tirent la société entière par le bas. Au-delà de leurs envolées philosophiques, se profilent la maturité du raisonnement et la profondeur de la pensée de notre romancier. A certains moments, on se croirait dans un essai philosophique, un traité moral ou encore une méditation spirituelle. Le roman cède à l’essai sur de nombreux chapitres. Foua nous offre au fil des pages un regard nouveau sur des questions existentielles les plus graves. Les thèmes comme l’émancipation de la femme, la religion, l’intellectualisme, le Sida etc. sont abordés sous des angles révolutionnaires voire troublants. Sur la femme, nous pouvons lire ces mots jaillis des lèvres de Basile, l’oncle de David : « Femme. Mère. Femme femme. Femme Mère…Dans tous les cas, il faut user d’intelligence pour marcher avec la femme, se mettre en retrait d’elle pour évaluer, adapter sa foulée sur la sienne. Et non pas à l’image de l’inconscient, avancer devant elle, le torse bombé, au risque de se livrer à son pouvoir ; immense au demeurant » (page 52-53).

L’amour est abordé comme une question grave. L’auteur fouine dans ses plis les plus profonds pour l’élever au rang d’une question existentielle inépuisable. Il soulève dans le sillage de l’histoire centrale du roman des problèmes d’ordre politique, social, culturel.

Bien que constitué de 357 pages, le livre se lit avec plaisir tant l’auteur y a mis du soin du point de vue de la littéralité. Le titre « Les Martins Orphelins », par sa charge stylistique nous avertit, de bonne heure, sur l’intention de Foua d’honorer  les belles lettres. La métaphore est remarquable. Elle est promesse de fruits savoureux. Et la suite de l’attester.

Il n’y a pas une page où, le crayon, à la main, le lecteur n’a pas envie de souligner une phrase pour sa splendeur, une pensée pour sa profondeur. Le roman, « Les  Martins Orphelins »,  vibre d’une écriture mature, forte, variée, succulente. Les amoureux de belles lettres en sortent comblés.  La plume de Foua Saint Sauveur ne se contente pas de conter une histoire. Il s’agit d’une plume d’artiste, permanemment en quête de la belle formulation, du bien-dire.

Les phrases sont construites avec rigueur, la syntaxe est foisonnante. L’écrivain fait un usage presque obsessionnel de l’apposition et la circonlocution. La ponctuation ici est respectueuse des fondamentaux grammaticaux.  Les Martins Orphelins de Foua  Ernest est une écriture cristalline, un récit riche images inattendues et de tournures souvent rares.

 

Macaire Etty

Foua Ernest de Saint Sauveur, Les Matins Orphelins, éditions Saint- Sauveur, Abidjan, 2014

 

 In Fraternité Matin N° 14 915 du samedi 24 aoput 2014



24/08/2014
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